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l’avait voulu le décret de 1807. Organiser l’Odéon de telle façon qu’il devienne une scène de début et d’essai pour le premier théâtre, sans toutefois compromettre la liberté nécessaire aux progrès de l’art, et la dignité personnelle des artistes, c’est un problème d’une solution difficile, nous l’avouons, mais non pas impossible, à ce qu’il nous semble. Nous insisterons seulement sur cette pensée, qu’il serait peu logique de subventionner les théâtres royaux, si on ne leur facilitait pas les moyens de recruter leur personnel, et de justifier, par une incontestable supériorité, les sacrifices faits en leur faveur.

4o Comme couronnement de ces mesures, et pour en assurer le succès, le gouvernement doit ressaisir sur les théâtres une autorité qu’il a trop laissé affaiblir. La réorganisation générale que nous sollicitons doit être étudiée et réglée dans des vues d’ensemble, avec une certaine hauteur de pensée, avec la constante préoccupation des intérêts d’ordre, de bonnes mœurs, d’éducation publique et de police qui y sont engagés. La révolution de juillet, en remettant au ministre de l’intérieur la surveillance des théâtres, les a privés d’une direction spéciale et attentive. La liste civile, sous l’empire et sous la restauration, tenait à honneur de soutenir les grands théâtres ; elle leur accordait de larges gratifications, et ceux qui la représentaient se faisaient un devoir de défendre des établissemens dont le succès touchait en quelque sorte à l’honneur de la couronne. Cette solidarité a cessé le jour où le gouvernement des théâtres a échappé à la liste civile.

Pour apprécier la différence des deux régimes, il suffit de comparer l’indifférence qui a suivi 1830 aux efforts prodigués auparavant pour assurer la conservation et la prospérité de notre première scène nationale. Sans remonter à Louis XIV, sans invoquer les traditions vraiment royales de l’ancienne monarchie, il nous suffira de rappeler qu’en l’an VII, le directoire exécutif prenait des mesures pour écarter tout embarras de la Comédie-Française, voulant, disait-il, « assurer l’existence de cette école nationale de l’art dramatique. » L’empereur déclarait en 1806, dans le conseil d’état, que le Théâtre-Français « fait partie de la gloire nationale. » En 1812, il écrivait à Moscou la charte constitutive de ce théâtre ; il couvrait les comédiens de sa protection constante, ne dédaignait point de leur donner personnellement audience, et les appelait dans toutes les solennités de sa cour. Sur son invitation, sa famille et tous les grands dignitaires avaient une loge payée chaque année : la bienveillance du souverain excitait l’émulation, provoquait la faveur publique, échauffait le zèle des artistes et appelait sur eux cette célébrité qui est un gage de fortune.