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lisme, et par-là même le dénonce et l’accuse, c’est le panthéisme. Que signifie cette double transformation de la polémique du clergé ? Est-elle en tout point sérieuse et profonde ? Et d’abord, que faut-il penser de cette distinction si accréditée entre la philosophie et le rationalisme ? Voilà le premier point à éclaircir et à discuter d’une manière complète, car, tant qu’on ne s’entendra pas sur cette question capitale, tout espoir de conciliation sera perdu.


Qu’on s’explique donc clairement et sans réticence. Qu’appelle-t-on le rationalisme ? Entend-on par-là une certaine espèce particulière de philosophie qui consisterait à prendre la raison et la raison seule pour guide ? Mais en vérité il n’y a pas une autre philosophie que celle-là. Le développement libre de la raison, voilà la philosophie ; elle est cela, ou elle n’est pas. La liberté de la pensée ne constitue pas seulement un des caractères, un des droits de la philosophie ; c’est son essence, c’est son être.

Faut-il être obligé de rétablir de tels principes deux siècles après Descartes ? Ce grand homme ne serait-il point par hasard, aux yeux du clergé, un vrai philosophe et le père de la vraie philosophie ? Si l’on ose répondre non, le débat sera terminé, et l’on saura à quoi s’en tenir sur la grande distinction de la philosophie et du rationalisme. Que si l’on veut bien accorder la qualité de philosophe à Descartes, je rappellerai la première règle de son Discours de la Méthode, qu’on paraît avoir oubliée : Ne recevoir jamais aucune chose pour vraie que je ne la connusse évidemment être telle. Cela est-il clair ? Et quelle est la première application de cette règle ? Le doute universel. Cela est-il équivoque ? Ce doute est, dit-on, un jeu d’esprit, un artifice d’exposition et de style. Commode et naïve explication ! Non, le doute de Descartes est bien autre chose ; c’est toute une méthode, toute une révolution.

Un écrivain du clergé, un docteur de Sorbonne, nous déclare qu’il accepte de grand cœur la philosophie de Descartes[1] ; il ne fait qu’une réserve, mais elle est à noter. Il retranche le doute méthodique ; c’est avoir la main malheureuse. Que dirait-on d’un philosophe qui accepterait tout le catholicisme, sauf le péché originel ? En vérité, la jeune Sorbonne est plus susceptible que l’ancienne, qui daignait accepter la dédicace des Méditations ! Et Fénelon était moins scrupuleux que M. l’abbé Maret, quand il se servait si loyalement du doute métho-

  1. M. l’abbé Maret, Essai sur le Panthéisme, p. 1.