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prouver Dieu ; mais il a bien soin de retirer d’une main ce qu’il accorde de l’autre. Ainsi, M. Maret veut bien accorder à la théodicée de Platon quelque valeur ; mais, au fond, c’est pure politesse, et il trouve que saint Augustin a bien mieux établi l’existence de Dieu. Or, toutes ces preuves qui satisfont si parfaitement M. l’abbé Maret sont empruntées à Platon. Il en est une, en particulier, fondée sur l’idée du beau, et qui est de la dernière sublimité. M. l’abbé Maret, qui la lit dans saint Augustin avec enthousiasme, ne s’aperçoit pas qu’elle est traduite littéralement de Platon, et que ce même père de l’église, qui relisait avec émotion le ive livre de l’Énéide, ne se plaisait pas moins au banquet d’Agathon, et savait faire servir à la gloire de Dieu, même les discours de la belle Diotime. M. l’abbé Maret applaudit aux preuves de l’existence de Dieu données par Descartes, qui est pourtant à ses yeux le père du rationalisme, et partant du panthéisme et de l’athéisme modernes ; mais croit-on que M. Maret consente à faire honneur de ces hautes preuves à la raison ? Nullement. C’est à la conscience chrétienne que Descartes les a empruntées. Il y a donc deux consciences pour M. l’abbé Maret, comme il y a deux raisons et deux certitudes pour M. l’abbé Lacordaire, la raison naturelle et la raison catholique, la certitude rationnelle qui est simplement lumineuse, et la certitude mystique ou translumineuse ; distinctions significatives et déplorables inconnues à Bossuet et à l’église, et qui préparent, si l’on n’y prend garde, une scission violente et définitive entre le catholicisme et la raison.

L’Essai sur l’indifférence et la Philosophie du Christianisme donnent la clé de toutes ces distinctions. Sait-on quel est, aux yeux de M. Bautain, le plus grand philosophe des temps anciens et modernes ? C’est Kant. Et à quel titre le père de la philosophie critique obtient-il cette distinction signalée ? C’est qu’il a détruit toutes les preuves de l’existence de Dieu, et par conséquent, suivant M. Bautain, condamné à jamais la raison humaine à l’athéisme. « Il nous a paru piquant, dit M. Bautain dans sa rétractation, de détruire toute raison et toute philosophie par les propres mains des philosophes[1]. » Badinage impie ! indigne langage ! Pascal au moins avait l’ame déchirée quand il contemplait avec un tressaillement de joie douloureuse la superbe raison invinciblement froissée par ses propres armes, et l’homme en révolte sanglante contre l’homme, et qu’il donnait pour dernier conseil à cette raison superbe et imbécile de renoncer à elle-même et de s’abétir.

  1. Philosophie morale, préface, p. iv.