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DE LA PHILOSOPHIE DU CLERGÉ.

faut bien le dire, dans l’extrême abaissement où sont tombées les études théologiques, telle est, selon nous, la première cause qui a empêché les apologistes contemporains de voir bien clair dans la question du panthéisme. Une seconde cause de confusion et d’erreur, c’est l’inconcevable incohérence des idées que s’est formées le clergé sur la nature, le caractère et l’origine des systèmes panthéistes. On écrit de gros livres contre le panthéisme moderne. Cherchez-y une définition précise, une idée nette du panthéisme. Pour une définition que vous demandez, vous en trouverez trois ou quatre, toutes fort différentes, quelques-unes absolument contradictoires. Que résulte-t-il de là ? C’est que tel philosophe ne peut plus convenir qu’il accepte un principe pur au fond de tout panthéisme, sans avoir l’air de s’accuser lui-même ; tel autre philosophe, panthéiste en effet, peut soutenir avec vraisemblance et en certains cas même doit soutenir qu’il ne l’est pas. Par suite, des ambiguités perpétuelles, des accusations calomnieuses, des rétractations équivoques, des professions de foi à double entente, l’absence de toute loyauté dans l’attaque, de toute franchise et de toute liberté dans la défense, une obscurité, une incertitude, une confusion impénétrables.

La définition du panthéisme la plus généralement admise, et cependant la plus fausse de toutes, est celle-ci : le panthéisme consiste à absorber Dieu dans l’univers, l’infini dans le fini ; en un mot, c’est la théorie de l’univers-Dieu[1]. Concevoir l’ensemble des êtres comme un tout composé de parties, voir dans chaque partie de ce tout une partie de Dieu, et Dieu dans le tout lui-même, voilà bien, en effet, un système de philosophie qui, à défaut d’autres avantages, possède incontestablement celui d’être clair. Ce système n’est pas nouveau ; avant Cabanis et Volney, Gassendi et Hobbes l’avaient professé, et avant eux Épicure et Démocrite. Il porte un nom bien connu, c’est le matérialisme. Certes, s’il plaît aux écrivains du clergé d’appeler ce système le panthéisme, ils ont bien raison de soutenir que le panthéisme équivaut à l’athéisme ; car il est clair que n’admettre d’autre réalité que celle de ce monde visible, ce n’est pas unir Dieu avec le monde, ce n’est pas répandre Dieu dans le monde : c’est nier Dieu. On dit bien qu’il y a un Dieu, savoir, le tout ; mais, en conservant le nom, on ôte la chose. Voilà une doctrine assurément bien basse, bien grossière, bien

  1. M. l’abbé Maret, Essai sur le Panthéisme, p. 101. — Ibid., p. 208. — M. l’abbé Goschler, Du Panthéisme, p. 15. — M. l’abbé Bautain, Philosophie du Christianisme, t. II, lettre 27, 33 et 34. — M. l’évêque de Chartres, Lettres à l’Univers religieux.