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Le clergé veut reconquérir le siècle : c’est son droit ; mais c’est aussi son devoir et en même temps son intérêt de ne pas méconnaître, de ne pas calomnier ceux qu’il désire appeler à lui. On déclame contre le matérialisme et l’impiété ; on prodigue l’accusation d’athéisme. Calomnies stériles ! vains anathèmes que le siècle ne comprend pas et qu’il écoute à peine ! C’est que le siècle n’est point impie ; le matérialisme n’a de prise aujourd’hui que sur les ames basses et les esprits obtus. Le siècle a adopté avec transport une philosophie plus noble ; il demande, il implore une foi ; il est avide de Dieu. On m’objectera la prédominance incontestable du panthéisme dans la philosophie européenne. Je réponds, au risque de surprendre et même de scandaliser certaines personnes, que parmi les causes qui expliquent ce phénomène philosophique, la principale à mes yeux, c’est la renaissance du sentiment religieux en France et en Europe depuis ces quarante dernières années. J’avoue que ce rapprochement est un paradoxe et un scandale pour ceux qui identifient le panthéisme avec le matérialisme et l’athéisme. Quiconque cependant portera un regard attentif et libre sur la nature du panthéisme n’hésitera point à reconnaître qu’il dérive avant tout d’un sentiment essentiellement religieux à sa source, bien qu’égaré dans son terme et dans tout son cours, je veux dire le sentiment profond de l’inconsistance des choses finies et de l’immensité, de la toute-puissance, de la toute-présence de Dieu. C’est ainsi que s’explique la coexistence de ces deux faits, qui sont assurément les plus considérables de notre époque : d’une part, le réveil de l’instinct religieux ; de l’autre, les progrès du panthéisme, qui tend à succéder en philosophie au sensualisme et au scepticisme de nos pères. Qu’on veuille bien prêter ici quelque attention à des éclaircissemens nécessaires, et j’ose croire que l’intime union du sentiment religieux et du vrai panthéisme prendra un caractère d’évidence incontestable.

La philosophie a un double objet, comme la connaissance humaine a une double condition. L’infini et le fini, l’existence absolue et l’existence relative, Dieu et le monde, voilà les deux termes de la philosophie, les deux pôles de la pensée. Or, la grande affaire, en haute métaphysique, ce n’est point de trouver l’un ou l’autre de ces termes, qui sont donnés par la conscience et le sens commun, mais d’en pénétrer assez profondément la nature pour en comprendre la coexistence et les mettre en un juste rapport. C’est ici que commence le rôle de la science, de la philosophie. Ce qui se manifeste sourdement à la conscience du genre humain par de vagues inspirations, par des pres-