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c’est la coexistence nécessaire et la consubstantialité de Dieu et de l’univers ; de l’autre, que le principe contraire est écrit pour ainsi dire en caractères éclatans à chaque page de la métaphysique chrétienne ? Qu’exprime en effet pour un chrétien philosophe le dogme de la sainte Trinité, sinon que Dieu considéré en soi, dans la plénitude solitaire de son existence absolue, n’est point un être indéterminé, une activité purement virtuelle, une abstraite et inerte unité, mais un principe vivant, une intelligence qui se possède et qui s’aime, féconde sans sortir de soi, n’ayant rapport nécessaire qu’à soi, n’ayant besoin que de soi, se suffisant pleinement à soi-même dans son éternelle et ineffable béatitude ? De là la parfaite indépendance de Dieu et la parfaite liberté de l’acte créateur. En donnant l’être au monde, Dieu n’augmente ni ne diminue son incommunicable et indéfectible perfection. Ce n’est point en effet de sa substance qu’il tire l’univers, ni d’une substance étrangère. Il dit, et les mondes sortent du néant. Voilà le miracle, voilà le mystère de la création. Dieu ne tire de soi que ce qui est égal à soi. Le Père engendre le Fils, le Saint-Esprit procède de l’un et de l’autre, et, dans cette région sublime, la coéternité et la consubstantialité sont nécessaires. Partout ailleurs elles sont impossibles et sacriléges. Tout ce qui n’est pas Dieu diffère infiniment de Dieu et est séparé de lui par un abîme infranchissable[1].

Ce Dieu si prodigieusement éloigné de l’homme, un mystère d’amour l’en va rapprocher : Dieu s’incarne dans l’homme. Ne croyez pas pourtant que Dieu et l’homme deviennent consubstantiels. La personne divine et la personne humaine s’unissent, il est vrai, et même s’identifient dans le divin Rédempteur ; mais la distinction des natures subsiste. Et comme en Dieu la triplicité des personnes n’ôte pas l’unité de substance, dans l’homme-Dieu l’unité de la personne ne saurait effacer la diversité des natures, tant le christianisme a voulu maintenir dans la variété nécessaire de la vie divine l’unité du principe divin, et dans l’union intime de l’homme et de Dieu l’ineffaçable séparation de la créature et du créateur.

Rendue à sa pureté par son union avec Dieu, l’ame humaine redevient digne du ciel, et Jésus-Christ, sorti vivant des bras de la mort, lui en montre la route ; mais en vain l’ame religieuse, dans un mystique élan, aspire à se perdre elle-même au sein de l’objet aimé : Dieu ne peut lui promettre que ce que l’éternelle raison permet d’accorder ;

  1. Le caractère que nous assignons ici à la Trinité est parfaitement exprimé dans les images que les artistes chrétiens en ont essayées. Voyez la curieuse et savante Iconographie chrétienne de M. Didron.