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provisoires que les marchands ambulans élèvent, à l’époque des grandes foires annuelles, dans quelques villes du midi de la France. Sur le devant de sa boutique, au milieu de son petit étalage, un vieux Turc à longue barbe, immobile comme un mannequin, est accroupi fumant alternativement sa pipe et mangeant des concombres verts. Dans un coin, près d’un réchaud allumé est assis un enfant qui prépare le café de son maître. Loin de vous appeler, de vous vanter ses marchandises, le vieux Turc se renferme dans le mutisme le plus complet et ne paraît prendre aucun souci de son négoce. Votre interprète lui demande-t-il s’il possède tel ou tel objet que vous désirez : il répond soit en fermant les yeux à demi et en faisant claquer sa langue contre son palais, signe négatif par excellence dans tout le Levant, soit par un imperceptible mouvement d’épaules qui veut dire : je n’en sais rien, cherchez. On fouille sa boutique, on ouvre ses tiroirs sans que le plus souvent il daigne même tourner la tête. Quand rien ne vous convient, vous le laissez impassible au milieu de sa boutique bouleversée. Si au contraire vous lui faites demander le prix d’une arme ou d’une paire de pantoufles, il énonce d’une voix gutturale un chiffre qui est ordinairement le double de celui qu’il veut avoir ; vous lui en offrez la moitié, il tend la main, prend votre argent, et souffle par le nez une bouffée de fumée. L’enfant remet toutes choses en ordre, se rasseoit auprès du réchaud, et le marchand reprend son éternelle contemplation.

Au lieu d’être, comme dans les rues, enfouies pêle-mêle dans toutes les boutiques, les marchandises, dans les bazars, sont classées selon leur nature ; chaque article de commerce a son cantonnement. Ici sont les soieries de Brousse, les robes de chambre, les mousselines brodées d’or ; là les babouches de velours ou de maroquin ; plus loin c’est le quartier des armes, des cangiars de Perse, des sabres de Damas ; dans une autre rue sont établis les marchands de pierreries ou de tapis de Césarée. Çà et là s’ouvre l’établi d’un débitant de limonade, de mauvaises glaces et de sorbets, détestable boisson composée de neige fondue, sucrée avec le jus exprimé des raisins secs et affadie par quelques gouttes d’eau de roses. Plus loin, une rôtissoire de tôle, remplie de charbons ardens devant lesquels plusieurs brochettes, placées verticalement, se meuvent au moyen d’une petite roue de fer-blanc que le vent fait tourner, annonce l’échoppe d’un traiteur. Ces bazars boueux, où l’on respire un air fétide, où toutes les marchandises, même les plus précieuses, sont confusément entassées, ont un aspect misérable, et l’on s’ennuierait bientôt de les parcourir, si la foule qui se