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rement) le martyre, les lazaristes, chefs de cette religion détestée, exercent à Smyrne, sur la population musulmane, une autorité toute paternelle. J’en puis donner une preuve bien remarquable. Au mois de juin 1842, le jour de la Fête-Dieu, j’ai vu la procession des lazaristes suivre paisiblement les rues de Smyrne, précédée par Kadji-Bey à cheval, et escortée par un détachement de soldats turcs qui, l’arme au bras, maintenaient l’ordre et contenaient la multitude. Quelques jours auparavant, j’avais été témoin d’un spectacle plus extraordinaire encore. Des sœurs grises, envoyées depuis peu d’années par les missions étrangères de Paris, ont fondé un établissement à Smyrne, où elles sont aimées et respectées à l’égal des lazaristes. Plus de cent cinquante jeunes filles, grecques, arméniennes et catholiques, reçoivent, grâce à elles, une instruction solide et les préceptes d’une saine morale. Le dimanche de la Pentecôte, après avoir parcouru la ville, j’arrivai à l’église catholique. Une vingtaine des élèves des sœurs grises faisaient ce jour-là leur première communion. Uniformément vêtues de blanc et conduites par les bonnes sœurs, ces jeunes filles traversèrent la cour au milieu d’une affluence immense de Turcs et d’Arméniens. Les musulmans, aussi bien que les Grecs et les catholiques, s’inclinaient avec respect devant ces filles du Seigneur. L’émotion la plus vive se peignait sur tous les visages ; on sentait que toutes les ames étaient élevées dans ce moment à cette hauteur où s’effacent toutes différences de dogmes et de croyances, où il n’y a plus que l’homme qui prie et Dieu qui écoute. Ce spectacle, touchant en tout pays, était sublime, je ne crains pas de le dire, sur cette terre du mahométisme.

Il faut ce concours heureux de circonstances pour maintenir parmi les habitans de Smyrne, séparés par tant de dissemblances, poussés en sens contraire par tant d’intérêts opposés, cet accord qui n’est que bien rarement troublé. Les Francs ont importé leurs mœurs dans la partie de la ville qu’ils occupent, et le quartier turc, malgré les réformes tentées par Mahmoud, a conservé en grande partie, comme nous l’avons vu, son originalité primitive. À part quelques chapeaux ronds, rien ne nuit pendant le jour à la physionomie tout orientale des bazars, et le soir, quand dort la ville turque, fermée aux chrétiens après le coucher du soleil, on ne voit ni turbans ni babouches dans la ville franque, où, au premier souffle de la brise de mer, la population se réveille et la vie commence. C’est l’heure de s’aller promener dans la rue des Roses. Plus large que les autres rues de Smyrne, la rue des Roses côtoie la mer dont elle suit la courbe et conduit hors de la ville à une langue de terre qui s’avance dans le golfe et forme une prome-