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plus riches sujets, Mahmoud, plus tard, porta le dernier coup aux branches les plus importantes de l’industrie de l’empire. Les pelisses, les robes de soie, les châles, les turbans de cachemire, furent remplacés par les habits de draps. C’était un produit que ne pouvait fournir une industrie en enfance. Habiles aux ouvrages qui demandent de la patience, accoutumés à suivre dans leurs travaux une routine invariable, les Orientaux ont l’imagination peu inventive. Obtenir des ouvriers turcs, astreints tout à coup à un genre de travail si nouveau pour eux, un produit qui, chez les nations les plus ingénieuses, ne s’était perfectionné qu’à la longue, était chose impossible. On ne le tenta même pas, et la Turquie accepta les draps étrangers, que l’Allemagne, la Belgique et l’Angleterre lui offraient d’ailleurs à vil prix. Par les réformes, l’industrie ottomane se trouva donc réduite à une double impuissance ; ce qu’elle pouvait produire n’avait plus de valeur, et ce qui avait de la valeur, elle ne pouvait le produire.

L’Europe s’émut de la décadence qui se révéla dans le commerce intérieur de la Turquie dès qu’il fut possible d’entrevoir quelque chose au milieu des bouleversemens causés par les lois nouvelles. On répéta de tous côtés que la Turquie était perdue, et que pour relever ses finances un seul moyen lui restait, c’était d’obtenir le droit d’augmenter les tarifs sur les marchandises étrangères. À notre sens, c’était mal raisonner, c’était ne voir que la superficie de la question. Sans doute, d’une augmentation des tarifs serait résultée une amélioration immédiate, mais cette amélioration n’avait pas d’avenir. En rendant aux manufacturiers du pays un avantage passager, on ranimait en eux des espérances irréalisables, on les engageait à soutenir contre l’industrie européenne une lutte impossible. En matière d’industrie, l’indolence des Orientaux ne peut pas entrer en rivalité avec le génie mercantile et la fébrile activité des Européens ; tous leurs efforts eussent abouti à rendre à leur industrie morte à tout jamais une apparence de mouvement, à lui donner une existence, pour ainsi dire, galvanique. Puisqu’on voulait des réformes, il fallait en accepter les conséquences, et, au lieu d’en retarder les effets, mieux valait déplacer tout d’un coup les intérêts des industriels et les forcer à suivre une nouvelle voie. Le ciel avait refusé aux Orientaux le génie manufacturier, mais en revanche il leur avait donné une terre fertile, des champs immenses qu’ils abandonnaient ; si l’industrie leur faisait défaut, l’agriculture leur offrait une large compensation. Par malheur, les lois nouvelles ruinaient les laboureurs comme les commerçans. Les principales pro-