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Du côté d’où vient l’hirondelle.
Si tu ne reviens pas, songe un peu quelquefois
Aux filles du désert, sœurs à la douce voix,
Qui dansent le soir sur la dune !

Les scènes les plus magnifiques que le voyageur a contemplées ne sont pas toujours celles qui, dans l’avenir, s’offrent le plus souvent à sa pensée. Dans le souvenir de certains paysages oubliés ou à peine remarqués par d’autres, il retrouve quelquefois un charme inexplicable ; ainsi, de tous les tableaux que ma mémoire renferme, celui de la plaine déserte de Boudja est un de ceux qu’il me plaît le mieux de revoir. Chose étrange, il me semble que maintenant je le juge mieux par la pensée que je ne le faisais le jour où il était devant mes yeux. Devant ce désert, je songeais à d’autres solitudes ; dans ce pays lointain, je regrettais la patrie absente. Aujourd’hui, revenu au point de départ, ma pensée s’attache avec amour sur ce paysage éloigné, car notre imagination nous emporte toujours au-delà du cercle que nos regards peuvent embrasser. Le plus grand charme des voyages est assurément dans le souvenir qu’on en garde. Courir le monde, c’est agrandir l’horizon de sa pensée, entourer sa mémoire d’un panorama que chaque jour complète, et sur lequel l’éloignement vient répandre une teinte harmonieuse. Plus tard, aux heures de rêveries, le voyageur trouve dans les tableaux du passé les personnages qui les animaient, le soleil qui les éclairait, les fleurs qu’il y a respirées, sa jeunesse enfin, ses pensées d’un autre âge, et dans ce cadre s’enchâsse un jour écoulé de la vie, que cette divine faculté du souvenir lui permet de revivre encore.

Bournabas, où j’arrivai après deux heures de marche, est le pendant de Boudja. Là encore sont de charmantes villas épanouies comme des fleurs à l’ombre des platanes, de frais ruisseaux qui courent dans les pelouses, des jets d’eau qui murmurent, des massifs d’orangers qui embaument. Seulement dans ces jardins l’art de l’horticulteur est secondé par une végétation plus vigoureuse. Tandis qu’à Boudja les Anglais avaient à vaincre l’aridité d’un sol brûlé par le soleil, nos compatriotes trouvaient à Bournabas une terre arrosée, une nature féconde qui obéissait à toutes leurs exigences. Par malheur, la fertilité de cette vallée a séduit les indigènes comme les Français, et ses frais ombrages sont devenus le but ordinaire des promenades des Smyrniotes. Des cafés se sont établis dans le village, une route le traverse ; de là mille inconvéniens : les querelles des buveurs, le bruit des pas-