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REVUE. — CHRONIQUE.

d’intéressans rapprochemens entre ce qui se pratique en France, relativement à l’instruction publique, et ce qui se fait en d’autres pays, notamment en Amérique, et chez nos voisins les Belges. M. de Saint-Priest a deviné fort juste quand il soupçonne la Belgique de n’avoir pas trouvé la solution du problème dans la liberté d’enseignement dont elle jouit. Elle l’y a si peu trouvé, que le clergé belge lui-même s’agite en ce moment pour changer sa situation.

Il est admirable avec quelle légèreté ou quelle mauvaise foi certains partis adoptent des mots d’ordre et des devises. La liberté comme en Belgique, tel est aujourd’hui le cri des ultramontains français. Opposons à cet enthousiasme affecté ou irréfléchi la réalité. Quand la Belgique rompit violemment avec la Hollande, l’enseignement public était uniquement entre les mains du gouvernement hollandais, dont l’esprit protestant s’était immiscé jusque dans les études destinées à former des prêtres catholiques. Cette immixtion, qui blessait vivement la liberté de conscience, était un des principaux griefs de la Belgique contre le gouvernement des Nassau. Aussi, dès que la scission fut opérée entre les deux parties de l’ancien royaume des Pays-Bas, l’enseignement en Belgique fut proclamé libre par forme de déclaration législative, et la force des choses le mit entièrement sous la main du clergé catholique. Ce clergé était national ; il avait puissamment travaillé à amener la révolution qui dotait la Belgique de son indépendance ; il demandait la récompense de son concours : on ne put la lui refuser. Le clergé était tout prêt pour exploiter cette conquête. Sa forte hiérarchie, la confiance aveugle des populations, lui permirent d’organiser en peu de temps un système d’enseignement public qui s’étendît sur tout le pays, et avec lequel il n’aspirait à rien moins qu’à placer l’éducation des masses sous le contrôle immédiat de l’épiscopat.

Cependant l’initiative prise avec tant d’ardeur par le clergé provoqua bientôt au sein du parti libéral des efforts en sens contraire. Ce parti, chez nos voisins, a de profondes racines. Son origine remonte aux premiers temps de la première révolution française, et depuis plus de cinquante ans il partage avec les catholiques l’influence sociale. Sous le gouvernement des Nassau, le parti libéral et le parti catholique s’étaient réunis dans une même et vaste opposition. La victoire devait les séparer ; toutefois, avant de reprendre vis-à-vis l’un de l’autre une attitude hostile, ils s’accordèrent pour proclamer la liberté de l’enseignement. Les catholiques exploitèrent les premiers cette liberté. Les libéraux s’émurent enfin, et ils fondèrent à Bruxelles une université, et sur d’autres points des établissemens qui devaient lutter avec l’université de Louvain et les autres instituts catholiques.

Et l’état ? quel fut son rôle ? quelle fut son influence ? Dans les chambres belges, une majorité catholique décréta une loi d’instruction publique qui désarma l’état de tous moyens efficaces d’influence et d’autorité. Il arriva que seul l’état était presque exclu des bénéfices de la constitution. Seul, il n’était pas libre, car il n’avait pas la force nécessaire à l’accomplissement