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Il y a deux siècles et demi qu’en cette même chaire du Collége de France, Passerat (c’est bien le cas, puisqu’il est question de la satire, de rappeler l’un des plus spirituels auteurs de la Ménippée) étudiait, comme nous l’allons faire, le théâtre de Plaute. On était alors en pleine ligue… mais ce n’est point ce rapprochement-là que je veux faire. À ceux qui pensaient que de si frivoles études convenaient peu aux malheurs des temps, Passerat faisait remarquer que Névius avait écrit ses comédies en prison, et que Plaute en avait composé plus d’une en tournant tristement la meule, pendant qu’il était esclave. J’ajouterai qu’ici la légèreté du sujet n’est bien souvent qu’apparente. Pour qui sait comprendre, y a-t-il en effet une tristesse mieux sentie que celle du Misanthrope ? Le cœur de Molière est là. Toujours l’étude du cœur humain a son côté grave ; et, d’ailleurs, si nous étions tentés de tenir trop peu de compte du rôle puissant de l’ironie dans les lettres, l’histoire serait là pour nous démentir. La raillerie a plus fait pour certaines causes, pour certains partis, que les luttes des champs de bataille et que les combinaisons de la politique. Un bel esprit de la renaissance, Érasme, a écrit quelque part que les révolutions étaient des tragédies qui finissaient comme des comédies ; ne sont-ce pas plus souvent des drames qui commencent par une parade ? Ulric de Hutten avant Luther, Figaro avant la constituante ! Joseph de Maistre l’a dit avec la franchise de son langage, c’est l’aiguille qui perce et fait passer le fil ; ajoutons que ces piqûres, en déchirant le voile qui couvre l’esprit humain, peuvent laisser voir le fond de l’abîme. Oui, certains types comiques créés par les poètes sont comme des témoins vivans de leur époque. Lorsque, par exemple, les institutions du passé s’écroulent dans la grande révolution du XVIe siècle, Panurge, Falstaff, Sancho, semblent expliquer, mieux que tout le reste, ce grand dénouement historique. N’est-ce pas en effet le mysticisme, l’idéalisme, la chevalerie, qui sont étouffés par ce chœur goguenard ? n’est-ce pas la prose qui tue la poésie ? Il en fut de même à Rome : les lettres y expliquent l’histoire. C’est à ces études que je vous convie ; nous essaierons de contrôler les faits par les idées, les mœurs par la littérature.


Ch. Labitte.

V. de Mars.