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de coton semble être parvenue à son apogée ; la fabrication des filés, celle des tissus de laine et de lin, est au contraire en voie de progrès. Ce phénomène s’explique par la nature même de la révolution qui s’est opérée dans l’industrie pendant les cinquante dernières années. Depuis la mule-jenny jusqu’au métier à tisser mu par l’eau ou par la vapeur, les grandes inventions ont eu d’abord pour objet le travail du coton : de là le bon marché de ces tissus, qui avaient fini par supplanter tous les autres ; mais à mesure que l’on a découvert le moyen d’appliquer la puissance des machines au travail de la laine et du lin, ces deux industries ont dû reprendre leurs avantages. Le prix des toiles et des draps a été mis à la portée des plus médiocres fortunes, et, la mode s’en mêlant, ils sont devenus encore une fois d’un usage presque universel. On a vu les fabriques jusqu’alors exclusivement consacrées aux articles de coton s’approprier les articles de laine : en France, Mulhouse et Saint-Quentin ont substitué les mousselines de laine aux indiennes et aux mousselines de coton ; Roubaix et Darnétal ont entrepris les tissus mélangés de coton et de laine, à l’exemple de Manchester. Enfin le lin et le chanvre, que l’on ne filait auparavant que dans les chaumières, ont élevé aussi leurs filatures casernes et ont contribué à l’entassement des populations.

Le travail de la laine et du lin, étant arrivé plus tard que celui du coton à l’état manufacturier, n’a pu développer encore ni la même population ni la même richesse. En France, Reims n’approche pas de Lille, ni Elbœuf de Rouen. En Angleterre, on ne saurait comparer Leeds à Manchester[1], ni Bradford à Glasgow ; mais précisément, parce que les manufactures du West-Riding restent encore bien loin de cette extrême opulence, elles ne connaissent pas l’extrême misère. Dans les fabriques de Leeds et des environs, la moyenne du salaire est supérieure à celle des comtés de Lancastre et de Lanark, et l’on sait que de tous les tisserands à bras les plus malheureux aujourd’hui sont ceux qui s’appliquent aux étoffes de coton.

La manufacture de coton était déjà fixée dans le Lancashire à

  1. La population de Leeds proprement dit était :

    En 1801, de
    30,069 habitans.
    En 1811
    35,951
    En 1821
    48,603
    En 1831
    71,602
    En 1841
    87,613