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Dans les manufactures, le travail du lin paraît être particulièrement funeste : on y occupe beaucoup plus de femmes et d’enfans que le travail de la laine n’en emploie, et cette circonstance en rend les effets plus meurtriers. « Les enfans employés à sérancer le lin, dit un médecin de Leeds, M. Craven[1], souffrent extrêmement de la poussière qui remplit l’air ; il en est de même des jeunes femmes occupées au cardage. Les uns et les autres sont fréquemment atteints de maladies de poitrine et meurent de consomption. Les plus jeunes sont attaqués d’une inflammation des bronches, que je crois particulière aux enfans qui travaillent dans les filatures de lin. » Les ouvriers de ces établissemens parviennent rarement à l’âge de 50 ans. Encore la mortalité serait-elle plus terrible sans les fréquentes migrations des travailleurs, qui s’empressent d’abandonner cette occupation aussitôt qu’ils trouvent un autre emploi.

À Newcastle, on compte 9 habitans par maison, à Londres 7, et à Leeds un peu plus de 4 seulement. La proportion des décès étant plus forte à Leeds qu’à Londres et qu’à Newcastle, il faut en conclure que ce n’est pas l’encombrement de la ville qui en fait l’insalubrité. On rencontrerait pourtant dans les bas quartiers des scènes de confusion et de détresse assez semblables à celles que présentent Manchester et Liverpool. La moitié des familles n’ont pas plus de deux chambres, l’une qui sert de cuisine et de parloir, l’autre de chambre à coucher ; celle-ci se nomme le logement (lodging-room). M. Baker parle d’un garni qui renfermait deux chambres, dans chaque chambre six lits, et dans chaque lit deux ou trois personnes ; en 1838, le typhus s’y déclara et fit quatre victimes en peu de jours. Dans une impasse, qui doit avoir hébergé une colonie de cordonniers et qui porte encore le nom caractéristique de cour du soulier (Shoe-Yard), 34 maisons comprenant 57 chambres étaient habitées par 340 personnes, ce qui donne par chambre plus de 6 habitans. Leeds a aussi ses caves-logemens, dans lesquelles vivent surtout les tisserands irlandais. Telle est l’influence d’une habitation misérable et malsaine sur les habitudes de ceux qui l’occupent, que ces familles, bien que gagnant communément 30 shillings par semaine ou près de 2,000 francs par année, présentent le spectacle du dénuement le plus hideux. Dans ces antres obscurs, dont les murs ne sont jamais blanchis, ni le sol nettoyé, les hommes et les animaux domestiques couchent pêle-mêle. Le métier à tisser remplit un coin du taudis, un porc l’autre, et la famille s’accroupit de

  1. Inquiry on trades and manufactures.