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sible. Les apprentis, n’ayant pas l’excitation de l’intérêt personnel, ont pris le travail en dégoût ; ne voyant pas l’autorité de leurs maîtres revêtue d’un caractère moral, ils ont manifesté un penchant habituel à la révolte. Les fermiers, de leur côté, ont fini par trouver que le travail rétribué leur revenait moins cher que le travail gratuit. Aussi l’usage, au lieu de s’étendre, va-t-il aujourd’hui en diminuant.

Il n’en est pas de même du travail par compagnies. Dans tous les comtés de l’Angleterre, les travaux qui demandent une certaine rapidité d’exécution, tels que la moisson des blés, la récolte des foins ou des houblons, appellent un grand concours d’ouvriers étrangers aux localités. C’est ainsi que des bandes d’Irlandais s’abattent sur l’Angleterre au mois de juillet, pour repartir ensuite au moment où la maturité plus tardive des grains s’annonce dans leur propre pays ; mais il y a des comtés, entre autres le comté modèle de Lincoln, où tous les travaux se donnent à l’entreprise et sont exécutés par des troupes d’ouvriers enrégimentés dans chaque district sous la bannière d’un entrepreneur, ainsi que cela se pratique dans les travaux publics pour les terrassemens et pour la maçonnerie. Un propriétaire veut-il faire sarcler un champ de pommes de terre, défoncer une prairie ou relever des fossés, il s’adresse à un entrepreneur (gang-master), avec lequel il traite de l’ouvrage à forfait. Dès que celui-ci s’en est chargé, il réunit tous les ouvriers qu’il peut trouver, hommes, femmes et enfans, et les envoie sur le terrain avec un contre-maître qui les surveille et qui dirige l’opération. Quand la distance à parcourir est trop considérable, on les transporte sur des charrettes, et on les fait coucher pêle-mêle dans des granges, pour ne les ramener chez eux qu’au terme du travail. Des jeunes filles demeurent ainsi pendant une semaine loin de leur famille, et comme, en choisissant les travailleurs, on a égard à leur vigueur bien plus qu’à leur moralité, elles se trouvent exposées à la contagion des plus mauvais discours, ainsi que des plus mauvais exemples. Il n’y a donc pas à s’étonner quand on lit dans la déposition d’un contre-maître : « Sur 100 de ces jeunes filles, 70 sont des prostituées. »

On conçoit que ce système convienne aux propriétaires et aux fermiers, car le travail se fait plus promptement, avec plus de précision et à meilleur marché. Pour le journalier, il a certains avantages, principalement celui de l’employer avec plus de certitude et plus de régularité. Cependant par combien d’inconvéniens et de souffrances ne doit-il pas acheter cette apparente amélioration de son sort ? D’abord le système du travail par entreprise est un moyen d’extorquer à l’ouvrier