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lois varient dans les diverses provinces, que la procédure civile traîne d’appellation en appellation avec une lenteur éternelle et une complète incertitude. De là le taux des intérêts très haut, l’usure tolérée, l’industrie sacrifiée, les crimes impunis, le commerce nul, l’agriculture gênée malgré la richesse naturelle du pays. Rien n’a changé, nous le répétons, dans le gouvernement, tandis que toute l’économie politique se modifiait autour de lui ; aussi se trouve-t-il en contradiction complète avec les lois de la propriété moderne. Il est donc forcé de chercher ses appuis en dehors de la bourgeoisie et même de la noblesse : il fait voter les petits propriétaires contre les grands ; il confie l’administration de la justice à des hommes dépourvus d’autorité morale. L’armée, qui représente la force de l’état, a été composée d’hommes sans patrie et sans famille ; les Suisses ne suffisaient pas, la cour de Rome a stipendié les centurioni, puis les volontaires, des hommes de la lie du peuple, exclus des fermes et des ateliers à cause de leur mauvaise conduite, et qui sont aujourd’hui en lutte ouverte contre la population[1].

En 1831, il s’est produit dans la Romagne un fait très significatif. Le peuple se soulevait ; la diplomatie, qui n’est pas suspecte de fanatisme révolutionnaire, demandait : 1o que la commune nommât ses conseillers, 2o que les provinces eussent leurs représentans libres, 3o que le conseil d’état fut sécularisé, 4o qu’on admit aux fonctions publiques la propriété, la capacité et l’industrie, 5o que l’on songeât à améliorer les finances et la justice. La cour de Rome accepta le memorandum, les troupes autrichiennes se retirèrent, et le cardinal Ber-

  1. Depuis 1814, pour se maintenir, le gouvernement pontifical n’a pas hésité à sacrifier la sécurité personnelle des habitans. Par qui est dirigée la police ? À Pesaro (1832), par un Albioni, jadis accusé d’avoir faussé des lettres de change ; à Faenza, par un Conti, qui avait subi plusieurs détentions, pendant la durée du royaume d’Italie, comme voleur et convaincu de viol sur une enfant de sept ans ; à Rome par un Barbone, bandit dont la tête avait été mise au prix de six mille écus dans la commune de Velletri. Mastoso, l’un des plus redoutables bandits de la province de Frosinone, a été nommé capitaine de la milice dans la même province. Fontana, qui jugeait les détenus politiques en 1832, avait été condamné comme faussaire en 1830 par une sentence du tribunal de Ferrare. Récemment la cour de Rome elle-même se vit forcée de condamner aux galères le chef de la police de Cesène. Il vendait au premier charcutier de la ville les archives de la police : ce fut ce qui le perdit ; mais depuis long-temps on le soupçonnait de rapports secrets avec les bandits de la province, et dernièrement, faisant une visite domiciliaire chez un libéral, il dévalisa la maison. Qu’on juge par là de la situation du pays. Il est défendu à tout citoyen d’avoir des armes ; cependant les brigands fourmillent, et souvent la population désarmée, surtout dans certaines communes, se trouve placée