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LES PSEUDONYMES ANGLAIS.

ronna le tout par une description détaillée et imprimée[1] de l’île de Formose, de son histoire et de ses mœurs, avec carte géographique, alphabet gravé, costumes, temples, édifices, et plusieurs portraits en pied des habitans du pays, anciens amis de Psalmanazar (nom japonnais de sa fabrique) et membres de sa famille. C’était assurément un esprit inventif.

« Mon premier soin, dit-il dans la narration détaillée qu’il donna plus tard de ses hauts faits, fut de chercher quels étaient les gens que l’on détestait le plus à Londres ; je reconnus qu’on avait en horreur les catholiques et les Français. Je ne les ménageai pas ; je leur adjoignis les Espagnols et les Italiens, que l’on n’aimait guère davantage. Plus je médisais de ceux que l’on avait pris en haine, plus les aumônes m’arrivaient abondantes ; il me parut que le métier n’était pas difficile. Je donnai des leçons de langue formosane à plusieurs dévotes ; comme cette langue avait été inventée par moi, qu’elle n’était parlée que par moi seul et connue que de moi seul, je trouvais plaisant de leur apporter des fragmens de poèmes épiques de l’île de Formose et des chansons d’amour qui les ravissaient d’admiration. Ainsi se trouva créée tout à coup une littérature étrangère. Le bon évêque de Londres songeait à la création d’une chaire, très utile aux missions anglicanes, et qui devait aider fort à la conversion des infidèles. J’avais adopté un beau costume dont les dames vraiment pieuses me fournissaient les atours, et un catalogue complet des auteurs formosans, dont je savais l’histoire et les aventures comme mes aventures et mon histoire. On m’attaquait bien de temps à autre, mais seulement dans les journaux peu estimés, dont les libres penseurs disposaient. J’appartenais à l’église anglicane à titre de converti, et à tout le protestantisme comme infidèle racheté. Par bonheur pour moi, un père jésuite s’avisa de se fâcher contre ma fraude ; ma cause devint celle de tout honnête protestant. Les déistes aussi se révoltèrent contre l’imposture ; mais on ne les détestait pas moins. Tout bon Anglais soutenait obstinément les mensonges du Japonnais converti, et la guerre tournait à mon avantage ; car je vendis six éditions de mon roman, et je pris dans le monde une position importante. »

La fin de l’histoire est plus curieuse ; sa vie étant une fois assurée par le succès de ses contes, et une petite pension lui ayant été faite par l’état, un accident inattendu transforma son existence ; il devint honnête homme. Jeté au milieu de cette civilisation sévère qu’il avait

  1. 1725, London.