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la science du dialogue. Sur le théâtre, il est dans ses terres, et avec de la patience et de la modération, il n’est pas douteux qu’il eût conquis une noble place sur la scène française. Pourquoi faut-il que l’orgueil le plus naïf et le plus vaste, pourquoi faut-il que les besoins factices qu’on se crée follement, l’aient jeté en des voies désastreuses où il dissipe de plus en plus son esprit et son talent ? Il écrit, il écrit, s’appropriant les idées des autres, soit qu’elles ne lui coûtent rien, parce qu’il y a prescription, soit qu’il faille les acheter au voisin. Il se fait manœuvre pour vivre en satrape, et ne jette sur le marché que des produits de troisième ordre, qui ont été manufacturés, à la vérité, dans un appartement de grand seigneur. On dira qu’au milieu des invraisemblances et des anachronismes, il amuse et n’économise ni l’esprit, ni l’entrain : soit, et je vous accorde que c’est le plus spirituel des marchands ; mais il y a loin de là à un artiste, il y a loin de là à ce William Shakspeare qu’on allait égaler, et si le ciel, ô poète, qui, pour notre agrément, vous a fait naître en ce pays de France, vous avait fait naître tout aussi bien sous le ciel britannique, vous n’auriez pas votre tombe à Westminster !

L’improvisation rapetisse tout ; la comédie improvisée est du vaudeville. A côté du drame qui, après avoir affiché des prétentions si hautes, et s’être mis en route avec des airs si hautains de conquête, est tombé épuisé et haletant dans un fossé, la comédie, qui n’avait pas tant promis, n’a pas tenu davantage. Elle a dédaigné l’étude sérieuse des modèles, l’observation profonde du cœur, la verve originale, le style ; elle s’est contentée d’un peu de dextérité de mise en scène, de la plaisanterie commune, du sel vulgaire, et comme si l’on suppléait à la qualité par le nombre, elle a mis au monde un déluge de croquis, laissant à d’autres le soin de faire des tableaux. Le plus mince auteur dramatique s’est inoculé la fécondité d’un Vega ; il est vrai de dire que, dans ce débordement inouï d’incomplètes et chétives peintures, le plus souvent d’une gaieté suspecte, personne ne sait au juste la part qui revient à chacun, car on s’est coalisé pour avoir de l’esprit, et pour l’exploitation de la scène on a établi de véritables maisons de banque avec une raison sociale. Ici, plus que partout ailleurs, l’industrie s’est associée à l’art ; l’écrivain dramatique ne songe qu’à l’applaudissement banal et au profit ; il écrit sur un comptoir. Notre Thalie est fille de boutique ; elle cumule ; elle tient des livres en partie double et chante des couplets grivois.

Où donc le désordre n’a-t-il point passé ? Je cherche en vain dans les lettres un lieu réservé et à l’abri du terrible fléau. L’histoire