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et entraîne vers un avenir fabuleux le génie commercial des Anglais, ce qu’il leur faut, ce sont, par la voie de mer et des fleuves, des dépôts de charbon, et un jour les deux rails d’un chemin de fer dans les plaines que traversent solennellement les chameaux des caravanes. Suivons-les un instant sur tout le littoral de l’Arabie, puis sur les bords du golfe Persique, où leurs bateaux à vapeur se multiplient de plus en plus.

Près du détroit de Bab-el-Mandeb, la nature a placé une presqu’île avec des montagnes menaçantes du côté de la terre, un beau port et des vallées du côté de la mer ; sur cette petite péninsule, les Arabes, au temps de leur puissance, bâtirent la ville d’Aden[1], ou plutôt ils l’agrandirent, la fortifièrent, et elle devint le principal entrepôt du commerce qui se faisait alors avec l’Inde, la Perse et la côte d’Afrique. Elle perdit de son importance le jour où Vasco de Gama doubla le Cap ; mais, quand de nouvelles découvertes ramenèrent les Européens par cette route, les Anglais achetèrent (d’autres disent escamotèrent) cette place qu’ils appellent désormais un second Gibraltar. Le grand Albuquerque, qui se plaisait à décapiter les donjons des citadelles musulmanes, avait vainement assiégé Aden en 1513 avec vingt vaisseaux : il s’en était consolé en s’établissant à Socotara ; mais ces îles ne sont point, comme Aden, la clé d’un golfe. En 1833, un chef d’aïtas (Turki-Bilmez) souleva un régiment égyptien, s’empara de Djeddah, prit Odeida et Moka, c’est-à-dire les principales villes de la mer Rouge du côté de l’Arabie. Cette fois les Arabes, contre leurs intérêts particuliers, aidèrent le pacha d’Egypte à reconquérir ses places ; ils oublièrent un instant (quitte à se révolter plus tard) que Méhémet-Ali, las de dépeupler ses campagnes pour transformer les laboureurs en soldats, tenait à les soumettre pour les enrégimenter à leur tour. Ce qui les engagea à chasser les rebelles, ce fut leur attachement à l’islamisme, parce que ces rebelles, reçus après leur défaite sur des navires anglais, avaient servi et promis de servir les intérêts britanniques. Si la possession des villes que nous venons de nommer a été retirée au pacha, la véritable raison en est nettement exposée par un voyageur que nous aurons plus d’une fois occasion de citer dans le cours de ce travail[2] : « Quand Méhémet-Ali dominait sur la côte, comme il

  1. Huet, dans son Histoire du commerce des anciens, dit que Aden signifie délices, et résume dans son nom toute la félicité de l’Arabia-Felix, à laquelle elle apjjailient. Cependant le véritable bonheur de cette contrée est son voisinage de la côte d’Afrique, qui lui expédie les richesses extraordinaires de son sol.
  2. M. Fontanier, vice-consul de France à Bassorah, qui a séjourné huit années dans la province de Bagdad et dans l’Inde, et qui vient de publier la première partie de ses Voyages dans le golfe Persique. Nous empruntons à cet ouvrage des documens sur la situation des agens anglais et français dans ces parages.