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sa mort était généralement répandu. La pythonisse de Valentano l’annonçait avec une persistance très caractéristique. Ces nouvelles étaient prématurées, on se hâtait trop de préparer les esprits. Tout à coup, vers la semaine sainte de l’année 1774, tous ces bruits semblèrent se réaliser. Le pape se renferma brusquement dans son palais et refusa toutes les audiences ; le corps diplomatique même ne put pénétrer jusqu’à lui. Enfin, le 17 août, les ministres des grandes puissances furent admis à l’audience. La vue du pape les frappa de surprise : un squelette se dressait devant eux. Clément les devina, et s’empressa d’affirmer que jamais sa santé n’avait été meilleure ; le respect seul fit adopter cet heureux présage, démenti par la conviction. Dès ce jour même, les membres du corps diplomatique disposèrent leurs cours à l’idée d’un prochain conclave. Comment en si peu de temps Clément XIV était-il passé de la force à la décrépitude et de la vie à la mort ? Après huit mois d’une santé parfaite, le pape, se levant de table, sentit une commotion intérieure suivie d’un grand froid. Il en fut troublé ; cependant il se remit peu à peu et finit par attribuer cette sensation soudaine au hasard d’une digestion mal faite. Tout à coup ses plus intimes confidens furent frappés de signes alarmans ; la voix du pape, jusqu’alors pleine et sonore, fut entièrement voilée par un enrouement d’un genre singulier. Une inflammation qui se développa dans l’intérieur de la gorge le forçait à tenir la bouche constamment ouverte ; des vomissemens, des faiblesses dans les jambes, lui rendaient impossibles ces longues promenades qu’ordinairement il achevait toujours sans fatigue ; son sommeil, jusque-là profond, fut sans cesse interrompu par des douleurs cuisantes. À la fin, il ne connut plus le repos ; une prostration de forces absolue, une dissolution anticipée, succédèrent subitement à une agilité, à une vigueur peu différentes de la jeunesse, et bientôt la douloureuse conviction d’un attentat qu’il avait toujours redouté rendit Clément XIV méconnaissable à ses propres yeux. Son caractère changea comme par magie ; l’égalité de son humeur fit place au caprice, la douceur à l’emportement, l’abandon à une défiance continuelle. Les poignards, les fioles empoisonnées, étaient sans cesse devant ses yeux. Quelquefois, sûr d’avoir été frappé, il alimentait son mal par d’inefficaces contre-poisons ; quelquefois aussi, dans l’espoir d’échapper à un malheur qu’il ne croyait pas accompli, il se nourrissait de mets échauffans mal préparés par ses propres mains. Son sang se corrompit, l’atmosphère renfermée de ses appartemens, dont il ne voulait plus sortir, aggrava les effets d’une