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aussi que notre marine marchande a des allures routinières, et qu’elle aime peu à sortir de ses habitudes. L’esprit français, si entreprenant d’ailleurs, est timide à l’excès quand il s’agit d’aller tenter la fortune dans des parages nouveaux. Nous avons vu des négocians de notre nation refuser de prendre part à des opérations avantageuses par cela seul qu’il fallait dépasser les limites du voyage ordinaire. A peine rencontre-t-on de loin en loin à Bassorah, à Mascate, dans la mer Rouge, quelque navire français qui vient chercher pour la colonie de Bourbon des bêtes de somme, du grain, ou du plant de café. Il résulte de là que notre gouvernement regarde comme un luxe inutile d’entretenir des agens dans des ports où nul intérêt commercial ne semble motiver leur présence.

La France est donc condamnée à rester ignorante sur tout ce qui se passe au loin ! Cependant il serait de son intérêt, de son devoir même, de s’instruire sur des questions qui la touchent de près. Si les provinces écartées de l’empire turc doivent prochainement se détacher, comme des branches mortes, du tronc auquel elles tiennent à peine, on devine qu’un autre pouvoir plus ferme et mieux organisé se trouvera debout et montrera la tête quand il en sera temps. Peut-être même, les choses ont été ainsi disposées, que l’intervention d’une puissance européenne dans ces provinces deviendra nécessaire à un moment donné. La folie d’un pacha rêvant l’indépendance, l’audace des Arabes attaquant des villes, une querelle provoquée à propos, une première impulsion imprimée habilement aux chrétiens, tels sont les événemens qui, d’un jour à l’autre, peuvent engager la Russie et l’Autriche du côté de l’Europe, l’Angleterre du côté de l’Asie, à se mêler activement aux affaires des provinces turques. Alors quel sera le rôle de la France ? Quand la Prusse elle-même est entrée dans la lice, resterons-nous seuls en dehors de la question ?... Sans doute, à ce moment suprême, on se souviendrait forcément que la France est d’un trop grand poids dans la balance du monde pour ne pas l’intéresser dans cette querelle européenne. En attendant, il lui convient, non de rivaliser d’intrigues avec les nations qui voudraient l’écarter, mais d’apparaître, sage et vigilante, sur les points menacés, de conserver cette attitude calme, sérieuse, attentive, dont l’effet est d’arrêter ceux qui vont trop loin ; en un mot, de faire tous les efforts possibles pour conserver le rang que depuis tant de siècles elle occupe dans le monde. Serait-elle destinée à se replier sur elle-même, quand le reste de l’Europe tend à se développer et à s’agrandir ?

Certes, il n’y a rien de plus à souhaiter que de voir à la tête des