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miracle. Il se promène dans les forêts de la Germanie, songeant aux anciens jours et à ses compagnons de guerre, quand un gendarme lui demande son passeport. On l’arrêterait, si un gentilhomme, qui passe par aventure, ne voulait bien répondre de lui. « Le seigneur Arminius ! Je connais ce nom ; c’est une noblesse qui n’est point d’hier. » Puis la nouvelle se répand et court de bouche en bouche. L’Allemagne entière lui envoie des députations. Berlin lui décerne un diplôme de docteur, et Munich fait les frais d’un tonneau de bière. Je ne sais quelle université lui apporte cum amplissimis honoribus un traité de droit romain, relié magnifiquement. Les villes libres lui adressent des cigares de la Havane, n’ayant rien de plus allemand, dit l’auteur. Puis voici venir l’assemblée des naturalistes, au nombre de cinq cent cinquante, pas un de moins. En même temps accourt M. Zeune, qui ne manque à aucune fête, et aussi M. Massmann. M. Zeune est chargé de décider si les Germains avaient bien réellement les yeux bleus et les cheveux blonds, et M. Massmann doit consulter Arminius sur la manière de prononcer le vieux langage ; faut-il dire Deutsch ou Teutsch ? Voilà la question. La raillerie continue long-temps de la sorte, et les noms propres ne sont pas épargnés. L’auteur ne s’arrêtera que lorsqu’il aura plaisamment confronté les deux Allemagnes, lorsqu’il aura mis en face de la Germanie primitive et des vigoureux instincts des ancêtres la frivole gravité, le pédantisme puéril, la grossière jovialité du monde moderne.

Quant aux chants purement politiques, il n’y apportera pas plus de colère ou de vivacité. C’est plutôt une ironie légèrement désabusée, un sourire pacifique. Tantôt il parodiera assez gracieusement une ballade bien connue de Schiller, la Jeune fille de V étranger (Das Madchen ans der Fremde). — Cette jeune fille, ce n’est pas la poésie comme chez l’auteur de don Carlos, c’est la constitution. Elle vient on ne sait d’où, et dès qu’elle paraît, les cœurs sont heureux, tout chante, tout fleurit ; elle est si belle, si douce, si bienfaisante ! Pourquoi donc a-t-elle fui si vite ? et qu’est-elle devenue, hélas ! Tantôt il intitulera sa chanson : Et moi aussi je suis né en Arcadie ! et il prouvera avec une grâce malicieuse que la vieille Europe n’est pas dépourvue de poésie, comme on le lui reproche. La poésie est partout comme aux premiers jours ; congrès, conventions, promesses, belles paroles pour l’intérêt du peuple, pour le bonheur de l’Allemagne, lois bienfaisantes, constitutions tant vantées, tant promises, qu’est-ce que tout cela, si ce n’est de la poésie ? La Grèce a-t-elle inventé plus de fables ? le moyen-âge a-t-il conté plus de légendes ? a-t-il cru à plus de merveilles ?