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Ces vers de M. Prutz ne sont pas seulement le cri reconnaissant de l’Allemagne pour ce poète si ardent et si mule, c’est aussi le remerciement particulier de l’auteur, qui salue dans ce jeune homme le maître à qui il a dû plus d’une inspiration heureuse ; car, pour résumer mon jugement sur M. Prutz, ce qui lui manque surtout, c’est la vocation, l’inspiration sincère. La rhétorique, le parti pris, le calcul, tout cela est très visible dans ses vers. Pour lui, une philippique, une attaque dirigée contre le roi de Prusse, un appel à la liberté, sont des lieux communs favorables, des cadres qui se prêtent avec complaisance au développement de ses richesses poétiques ; il a maintes strophes, maintes rimes dont il se défera utilement. C’est un placement avantageux ; le sujet est recherché aujourd’hui. D’ailleurs, n’est-il pas sonore et éclatant ? N’accepte-t-il pas les amplifications bruyantes, les fanfares ambitieuses, les rimes empanachées, et presque toutes les figures de la rhétorique ?

Admirable matière à mettre en vers latins !


Je n’ai aucune peine à me décider, je n’ai pas besoin de me consulter long-temps pour préférer beaucoup à cette science, d’ailleurs assez remarquable, du style et de la forme, la simplicité, la sincérité, la bonhomie quelquefois charmante de M. Hoffmann de Fallersleben, et surtout la distinction élevée de M. Dingelstedt.

Mais voici un poète qui n’hésitera pas, comme M. Prutz, entre la muse politique et les chansons d’amour. Ce n’est pas lui non plus qui se laissera séduire par les faux brillans d’une langue emphatique ; sa parole est droite et rapide. C’est un jeune souverain ; il entre botté et éperonné dans l’assemblée des poètes de son pays ; il prend la couronne et la met sur sa tête. Or, l’audace lui réussit, et le peuple le reconnaît pour son maître. Gardera-t-il long-temps cette couronne ? Je n’en sais rien. L’avait-il réellement méritée ? Il est permis de contester quelques-uns de ses titres ; ce qu’on ne niera point, c’est la hardiesse, l’impérieuse fermeté, la beauté sauvage de sa muse. M. Herwegh a donné un démenti à l’opinion commune qui attribue aux poètes du midi de l’Allemagne une douceur mélancolique, une grâce idéaliste pleine de charme, et qui leur refuse l’indomptable fierté des penseurs du Nord. Cette riche contrée de la Souabe d’où sont sortis les plus charmans poètes de ces derniers temps était devenue, dans les travaux des critiques et des historiens littéraires, un pacifique paradis, un Éden privilégié, où ne devaient jamais retentir que la voix bienfaisante d’Uhland et les églogues embaumées de Wilhem Müller.