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lendemain de son intronisation, il devait supprimer les jésuites, qui s’y attendaient ; ou bien, si le maintien de la compagnie lui semblait un devoir supérieur à la foi donnée, il devait affronter la colère du roi d’Espagne, laisser imprimer ses lettres, et se présenter fièrement aux princes, appuyé sur les bulles de ses prédécesseurs et sur les apologies audacieuses de l’ordre qu’il aurait sauvé. De toutes les résolutions, il choisit la pire : la faiblesse l’emporta. C’est qu’il n’y avait dans Ganganelli rien du grand homme. Ses panégyristes l’ont déprécié en s’efforçant de le diviniser. Leur froide rhétorique n’a pu agrandir un cadre trop rétréci. Ganganelli, quoique éclairé et spirituel, ignorait les hommes et les choses. Incapable de traiter les affaires, il ne visa jamais qu’à les assoupir. Sa politique manqua à la fois d’élévation et d’habileté. Mais à ce tableau, trop sévère peut-être, si on oppose une modération constante, une tolérance véritable, des mœurs de la primitive église, on conviendra sans peine que la vie de Clément XIV fut digne d’un respect sincère, sa mort d’une éternelle pitié.


Ici s’arrête la carrière que nous nous sommes tracée. Un récit authentique de la suppression de la compagnie de Jésus nous avait paru manquer aux nombreux documens dont cette congrégation fameuse a été l’objet. Nous n’avons pas besoin de rappeler notre impartialité : le lecteur, quel qu’il soit, s’en est aisément aperçu. Nous n’avons rien déguisé. En Portugal, les fautes de la société ont précipité sa chute, moins encore que des circonstances fortuites ; le caractère d’un ministre y a surtout contribué. En France, l’existence de l’ordre a été compromise par une généreuse résistance aux caprices d’une favorite ; mais une banqueroute très scandaleuse a achevé la ruine qu’un refus très noble avait provoquée. C’est ainsi que nous avons dit la vérité tout entière, au risque de ne satisfaire personne. Nous avons surtout combattu cette orgueilleuse prétention qui, dans l’opinion de la société de Jésus, identifie ses intérêts à ceux du christianisme, et les montre en butte à une conspiration permanente. Sans méconnaître les grandes choses qu’elle a tentées ou accomplies, principalement dans le Nouveau-Monde, nous n’avons pas dissimulé que trop souvent l’opiniâtreté de la compagnie à défendre sa propre cause devient un obstacle au retour des esprits vers la religion. Combien de réactions heureuses, après des temps d’incrédulité et de doute, se sont arrêtées devant la crainte de la domination des jésuites, et combien peu