ressouvient donc de l’arrivée de l’aveugle à Chio chez Glaucus ; il se ressouvient de l’injure des habitans de Cymé, et de là l’imprécation éloquente :
Cymé, puisque tes fils dédaignent Mnémosyne, etc.
Dès le début, les aboiemens des molosses nous ont reporté à l’arrivée,
d’Ulysse chez Eumée ; tous ces souvenirs s’entrelacent heureusement
et se combinent. « Ne devait-on pas s’attendre au moins, s’écrie
M. Fremy, à retrouver, dans un sujet où le poète a entrepris de faire
chanter Homère, quelques-unes des beautés empruntées aux poèmes,
de son héros ? » Aussi les images empruntées et les libres réminiscences se succèdent enchâssées avec art ; le palmier de Latone, auquel
le vieillard compare les gracieux enfans, ne nous ramène-t-il pas vers.
Ulysse naufragé s’adressant en paroles de miel à Nausicaa ? — Mais,
est-il vrai, demande M. Fremy, que « jamais, chez les anciens, les
devoirs de l’hospitalité aient pu dépendre d’un effet de poétique ? » Et
il ne veut voir dans cette manière de présenter l’aveugle harmonieux
qu’une perspective romanesque au service du commentateur moderne.
Heureusement, dans le bel hymne à Apollon attribué à Homère, on
lit ce passage dans lequel le divin aveugle n’est pas présenté autrement que ne l’a fait Chénier, si abreuvé de ces sources habituelles :
« … Elles (les jeunes filles de Délos), elles savent imiter les chants et
les sons de voix de tous les hommes ; et chacun, à les écouter, se croirait entendre lui-même, tant leurs voix s’adaptent mélodieusement !
Mais allons, qu’Apollon avec Diane nous soit propice, et adieu, vous
toutes ! Et souvenez-vous de moi dorénavant lorsqu’ici viendra, après
bien des traverses, quelqu’un des hôtes mortels, et qu’il vous demandera : « O jeunes filles ! quel est pour vous le plus doux des chantres
qui fréquentent ce lieu, et auquel de tous prenez-vous le plus de
plaisir ? » Et vous toutes ensemble, répondez avec un doux respect :
« C’est un homme aveugle, et il habite dans Chio la pierreuse ; c’est
lui dont les chants l’emportent à présent et à jamais ! » — Toute la fin
de l’idylle correspond à cet endroit de l’hymne, et au besoin s’y appuie.
Après avoir méconnu les sources où Chénier a puisé, M. Fremy ne se lasse pas d’admirer et de préférer l’Aristonoüs de Fénelon. Fénelon est un de ces beaux noms dont on use volontiers : bien des gens qui n’ont guère de christianisme sont toujours prêts à dire qu’ils sont de la religion de Fénelon ; dans ce cas-ci, nous laisserons donc M. Fremy nous assurer qu’il est classique comme l’auteur du Télémaque.