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Vers des objets nouveaux qu’ils s’étonnent de peindre.
La prose plus souvent vient subir d’autres lois,
Et se transforme, et fuit mes poétiques doigts :
De rimes couronnée, et légère et dansante,
En nombres mesurés elle s’agite et chante.
Des antiques vergers ces rameaux empruntés
Croissent sur mon terrein, mollement transplantés ;
Aux troncs de mon verger ma main avec adresse
Les attache, et bientôt même écorce les presse.
De ce mélange heureux l’insensible douceur
Donne à mes fruits nouveaux une antique saveur.
Dévot adorateur de ces maîtres antiques,
Je veux m’envelopper de leurs saintes reliques ;
Dans leur triomphe admis, je veux le partager.
Ou bien de ma défense eux-mêmes les charger.
Le critique imprudent, qui se croit bien habile,
Donnera sur ma joue un soufflet à Virgile :
Et ceci (tu peux voir si j’observe ma loi),
Montaigne, il t’en souvient, l’avait dit avant moi.

Cette fois, c’est un soufflet à Properce que le critique imprudent a donné, et ce n’est pas notre faute si Chénier d’avance l’a rendu.

M. Fremy est si en peine de trouver et de poursuivre partout le madrigal, qu’il n’a pas craint d’en dénoncer un dans les vers qui terminent cette adorable pièce de la Jeune Captive :

Ces chants, de ma prison témoins harmonieux,
Feront à quelque amant des loisirs studieux
Chercher quelle fut cette belle :
La grâce décorait son front et ses discours,
Et comme elle craindront de voir finir leurs jours
Ceux qui les passeront près d’elle !

M. Fremy veut voir dans cette fin un trait de badinage galant qui semble démentir le caractère de tendre tristesse répandu dans la pièce ; d’autres y auraient vu simplement un trait gracieux et de sensibilité encore. Cette sensibilité se retrouve dans l’harmonie même des mots comme elle et près d’elle répétés à dessein. Celui qui demain va mourir sent un regret à quitter la vie que consolait sous les barreaux une vue si charmante, mais il exprime ce regret à peine, et son émotion prend encore la forme d’une pensée légère, de peur de jeter une ombre sur le jeune front souriant.

Le châtiment d’un jugement si faux et surtout si maussade ne s’est pas fait attendre, car, après avoir transcrit pour les blâmer les deux