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Si M. Fremy s’était borné à faire remarquer qu’André Chénier, malgré tout, était de son temps, à indiquer en quoi il composait avec le goût d’alentour, comment dans tel sujet transposé, dans tel cadre de couleur grecque il se glisse un coin, un arrière-fond peut-être de mœurs et d’intérêt moderne, on n’aurait eu qu’à le suivre dans ses analyses. Nous avons nous-même remarqué autrefois que certaine ébauche d’élégie, la Belle de Scio, a l’air exactement d’avoir été composée au sortir de Nina, l’opéra-comique de Dalayrac et Marsollier. Mais, au lieu d’une appréciation modérée et qui pénètre dans son auteur, M. Fremy a prétendu biffer d’un trait de plume toute une moitié de l’œuvre, toute une première moitié d’où la seconde est sortie. Il a même trouvé moyen, en passant, de comprendre les Martyrs de M. de Chateaubriand dans la proscription rigoureuse. Idylles et Martyrs, c’est tout un pour lui ; fi de cette antiquité artificielle et restaurée ! il en parle à son aise et comme enivré des sources. Il n’a pas voulu reconnaître que du Fénelon tout pur, venant à la fin du XVIIIe siècle ou au commencement de celui-ci, n’aurait produit qu’un effet un peu lent ; qu’il y avait lieu, quand la peinture gagnait de toutes parts et allait s’appliquer à tous les âges, de ne pas laisser l’antiquité seule pâlir. Je me le suis dit depuis bien long-temps, André Chénier, non pas quant à l’action, mais quant à la couleur, a été pour nous une espèce de Walter Scott antique et poétique : il a donné le ton.

Depuis La Fontaine, et en laissant de côté les chefs-d’œuvre dramatiques, la poésie lyrique digne de ce nom, la poésie d’odes, d’idylles, d’élégies, où en était-elle, je vous prie, en France ? Le XVIIIe siècle comptait sans doute, ou plutôt ne se donnait plus la peine de compter une foule de pièces galantes, satiriques, badines, étincelantes d’esprit ; Voltaire y excelle ; les Saint-Lambert, les Rulhière, les Bouflers l’y suivaient à l’envi ; mais dans l’art sérieux, dans cet idéal qui s’applique aussi à ces formes légères, dans ce tour sévère et accompli qui achève la couronne de la grâce elle-même, qu’avait-on, depuis long-temps, à citer ? Au moment où André Chénier commença, j’aperçois dans l’air une multitude de papillons plus ou moins brillans : on eut une abeille.

Lorsqu’il parut en lumière pour la première fois, non pas moins de vingt-cinq ans après sa mort (redoutable épreuve !), il était jeune encore, il était plus jeune que jamais ; la source long-temps recelée jaillit de terre dans toute sa fraîcheur. M. Fremy veut bien nous demander si nous croyons que ces poésies, publiées aujourd’hui pour la première fois, occuperaient dans l’attention publique le rang qu’elles obtinrent il y a vingt-cinq ans. Mais voilà vraiment des exigences bien