Page:Revue des Deux Mondes - 1844 - tome 6.djvu/907

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cela dit, et nos réserves faites, prenons des billets et entrons… Des billets ! Voilà déjà quelque chose de bien pauvrement moderne. C’étaient des tessères, jetons de cuivre ou d’ivoire, qui servaient à Athènes de billets d’entrée. L’ouvreuse, je devrais dire l’hyperète ou le designator, nous place dans ce qu’elle appelle improprement l’amphithéâtre. Je note l’impropriété du terme, mais je loue la chose. En effet, ces stalles rangées en gradins qu’on a élevées dans l’ancien parterre, et où nous prenons place, c’est ce que les Grecs appelaient le ϰοίλον (koilon), les Romains la cavea, ce que les Italiens nomment la gradinata. Je vois bien qu’il faut que je vous explique les motifs de tout le dérangement que vous remarquez dans la salle et sur la scène ; je le ferai volontiers, et je suppléerai, chemin faisant, à ce qu’auront omis les arrangeurs.

D’abord nous voilà assis près l’un de l’autre, vous jeune et moi qui ne le suis plus guère. Il n’en aurait pas été ainsi à Athènes ; il y avait des gradins réservés pour les éphèbes ; ce lieu s’appelait l’ἐφηϐιϰὸν (ephêbikon). Vous avez à votre droite une jeune voisine ; c’est un avantage dont je vous félicite, et que vous n’auriez pas eu dans un théâtre grec : la plupart des antiquaires assurent que les femmes n’étaient pas admises aux solennités théâtrales. Je suis, je vous l’avoue, d’une opinion contraire ; je crois que les femmes assistaient au moins à la tragédie, et qu’on ne les empêchait pas de remplir cet acte de dévotion : je tâcherai d’en donner ailleurs la preuve ; mais toujours est-il certain qu’elles ne siégeaient pas au théâtre d’Athènes, comme à celui de Rome ou aux nôtres, mêlées avec les hommes.

Vous jetez des regards étonnés sur l’avant-scène et vous ne comprenez point ce que signifie l’autel placé devant le trou du souffleur. D’abord supprimez, si vous pouvez, par la pensée, cette hutte du souffleur, qui est bien tout ce qu’il y a au monde de moins attique. Quant à cet autel consacré à Bacchus, c’est le Thymélé. C’est là qu’avant et après les concours scéniques, l’archonte, les stratèges et quelques autres magistrats faisaient, avec l’assistance du prêtre de Bacchus toujours présent, des libations, des purifications et des prières. C’est aussi là que se tenait le poète ou le didascale, à portée de diriger les mouvemens et d’aider la mémoire des comédiens et du chœur. Mais qu’est-ce là ? qu’entends-je ? bon Dieu ! une ouverture ! À quoi donc ont pensé les doctes archéologues de Berlin ? Comment ont-ils laissé M. Mendelssohn placer une symphonie à grand orchestre devant une tragédie grecque ? À Athènes, dans les beaux temps du théâtre, rien ne précédait la voix humaine, si ce n’est l’appel du héraut qui avertissait le poète et le chœur dont le tour de représentation était