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parce que les seconds s’agitent sans mettre la main sur rien qui les puisse contenter et nourrir.

Nous parlons de foi solide et de découvertes véritables. La critique littéraire peut adopter ce mot de l’Évangile : Vous les connaîtrez par leurs œuvres. Pour savoir combien peu le sens intime du christianisme anime certains hommes, il n’y a qu’à lire leurs vers, à entendre leurs sermons, à regarder leurs toiles et leurs marbres. Les ébauches informes qu’enfantent les systèmes nouveaux portent sur la valeur des systèmes un témoignage redoutable.

Voilà pourquoi, dans les productions contemporaines, il y a beaucoup de choses remarquables et très peu de vraiment belles. À défaut de cette naïveté féconde dont nous parlions tout à l’heure, et qui, nous le reconnaissons, n’a qu’un temps dans l’histoire des lettres et de l’art, l’unité et l’harmonie des œuvres ne sauraient sortir que d’une conviction réfléchie, achetée par les plus longues méditations. Or, aujourd’hui, où sont les artistes qui méditent ? On produit, on fabrique. N’auriez-vous pas quelques sujets de roman à m’indiquer ? disait dernièrement un libraire ; l’auteur que j’édite travaille tant, qu’il n’a pas le loisir d’en chercher.

Au moment où les conditions de l’art deviennent plus difficiles et plus dures, l’ame de nos artistes s’amollit. Puisque dans la sphère des croyances et des idées il y a lutte et doute, il faudrait un travail sérieux de la pensée pour choisir et pour bien choisir. Puisque l’histoire du passé agrandit chaque jour sur tous les points ses horizons et ses profondeurs, l’artiste, pour s’en servir avec justesse et succès, devrait se plier à des études persévérantes. Comme dans chaque genre d’innombrables œuvres ont été produites, il est clair qu’une originalité, même restreinte, ne saurait être la récompense que d’une réflexion opiniâtre. Nous n’exceptons pas les natures les plus heureuses ; car, si elles mettent de la légèreté dans la direction de leur talent, elles n’échapperont pas aux réminiscences, à l’imitation. Néanmoins combien d’artistes oublient qu’ils vivent sous l’empire de ces rudes devoirs ! méconnaissance funeste qui pourra valoir, même aux plus forts, l’interruption de leur gloire, et comme des funérailles anticipées.

Non-seulement on ne songe pas à ces nécessités sévères qui sont pour tous des lois inflexibles, mais beaucoup de nos poètes et de nos écrivains semblent ne pas penser que le temps coule pour eux et leur impose des obligations nouvelles. Cependant suivez dans leur carrière les artistes qui y ont laissé un grand nom après s’y être lancés jeunes. Que de développemens ! que de transformations ! Le génie est comme