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c’est le seul peut-être où, sans concevoir d’alarmes pour les libertés publiques, on voie le clergé intervenir dans les affaires, aspirer aux charges politiques, ni plus ni moins que les autres classes de l’état, le seul où le citoyen ne s’absorbe pas dans le prêtre, et où soit le mieux pratiquée la distinction essentielle qui subsiste entre les devoirs du prêtre et les droits du citoyen. Point de contestations sur les deux puissances, sur leurs attributions ni sur leurs limites ; point de polémiques sur les empiétemens du clergé. Le jour approche où, dans une loi générale, on s’efforcera de résumer les efforts jusqu’ici tentés pour réorganiser l’instruction publique : on ne verra point s’élever à l’entour, nous en sommes certain, cette malheureuse querelle universitaire qui en ce moment passionne chez nous tous les esprits. On a prétendu naguère que l’on allait suspendre la vente des biens du clergé régulier pour en faire une sorte de dotation aux évêques, aux chapitres et aux prêtres de paroisse ; le gouvernement de Madrid s’est empressé de démentir ce bruit, et nous n’en sommes point surpris pour notre compte : le clergé espagnol est bien loin de demander lui-même qu’on lui fasse une constitution civile indépendante de l’état. En 1840, il est vrai, tous ses champions, tous ses amis, ont énergiquement combattu les projets de M. Alonzo, qui proposait aux cortès de lui assigner des pensions sur le trésor public ; mais on ne mettait point en question le principe : on protestait tout simplement contre le chiffre de ces pensions, que le ministre espartériste, obéissant aux rancunes du comte-duc, n’avait point fixé assez haut.

Comme le clergé et la noblesse, la bourgeoisie est évidemment dévouée au régime constitutionnel. Malheureusement, la bourgeoisie, ou, pour mieux parler, la classe que l’on entend par ce mot en France et en Angleterre, ne subsiste guère en Espagne, où le moyen-âge l’a vue si florissante. Il serait bien aisé pourtant de l’y rétablir : la noblesse tout entière, ou du moins l’immense majorité de cet ordre, en fournirait les plus précieux élémens ; l’agriculture et l’industrie feraient le reste, si jamais l’on se décidait à tirer parti par le travail des inépuisables ressources que la nature a prodiguées à la Péninsule, d’Irun à Gibraltar.

Mais si, dans les populations de l’Espagne, il n’est pas un seul corps, une seule classe dont les dispositions ne soient favorables au régime constitutionnel, quelle est donc la cause de la radicale impuissance qui s’attache depuis 1812 à toutes les chartes et à toutes les lois politiques ? D’où vient que tous les efforts pour les rendre praticables ont constamment abouti au néant et à l’anarchie ? Cela n’est pas difficile à expliquer : les cortès, après avoir recueilli dans les vieilles chartes les principes humiliés par les deux dynasties qui ont régné dans la Péninsule, de Charles-Quint à Ferdinand VII, les ont scrupuleusement appliqués, parfois même en les exagérant (témoin la déclaration absolue et confuse de la souveraineté nationale en 1808), dans toutes les questions de l’ordre politique ; mais elles n’ont jamais rien fait pour améliorer l’administration particulière des provinces et des communes. Cette omission a eu pour conséquence, l’ivresse des premiers jours