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siècles, et dont l’Angleterre essaie de ressouder les anneaux par les plus révoltantes usurpations. On a beau se débattre contre les excès et les misères de la guerre civile, c’est là une ambition dont il est impossible de se défendre, quand on parcourt ces cent cinquante lieues de côtes, partout unies, toujours commodes, qui s’étendent en face du pays maure, et où pas une bouffée de vent ne se lève, entre les orangers des huertas ou les voiles des trincadoures, qui ne souffle du continent africain.

Il y a quelques mois à peine, MM. Pidal, Isturitz, Bravo-Murillo, Moron, Posada-Herrera, et tous leurs amis, se plaignaient amèrement que les ministres d’Espartero ne fissent rien pour remédier aux maux de l’Espagne ; aujourd’hui qu’ils ont en main les affaires, ce sont pour eux d’impérieux engagemens que les griefs qu’ils ont si bruyamment élevés contre le gouvernement du comte-duc. Nous devons ajouter qu’ils ne songent pas à décliner ces engagemens, et que depuis bien long-temps ils s’étaient préparés à les tenir. C’est M. Alcala-Galiano, on le sait, qui a rédigé la loi sur les ayuntamientos ; quant à la loi sur les circonscriptions territoriales, qui forme le complément de la loi sur les ayuntamientos, nous en trouvons les principales dispositions dans une série d’articles publiés en 1840 par M. Moron. Ce publiciste y prouvait combien il serait facile de définir et de concilier entre elles, par une division normale du territoire, les attributions respectives des autorités civiles et judiciaires. Ces deux lois seront très prochainement suivies de décrets organiques sur le clergé, l’instruction publique, le jury, le conseil d’état, les tribunaux de divers degrés, et en général sur l’administration de la justice. Les articles divers de ces lois capitales sont, à vrai dire, tout formulés déjà dans les écrits, livres ou brochures de MM. Pacheco, Estevan Sairo, Posada-Herrera, de la Peña-Aguayo, Eusebio Valle, etc., aussi bien que ceux de toutes les lois qui se préparent sur les finances, l’armée, la marine, l’agriculture et l’industrie. Ce n’est point ici le lieu ni le moment de montrer ce que les jeunes publicistes chargés de l’immense travail de la codification générale ont conservé de la vieille législation espagnole et ce qu’ils ont emprunté à la nôtre, ou bien encore à celles de l’Angleterre et de l’Allemagne ; mais, dès maintenant, nous pouvons exprimer l’espoir que des commissions nombreuses où se poursuit activement ce travail sortira, pour l’Espagne, l’œuvre de la réorganisation sociale, pourvu cependant que cette œuvre soit soumise à la sanction des chambres, la seule qui la puisse rendre durable. Excédé de révolutions et de guerres, le pays tout entier fait appel aux hommes de cœur et d’intelligence ; c’est un malade qui, après une léthargie de deux siècles, s’est, durant cinquante ans, agité dans le délire et les transports de la fièvre ; épuisé de fatigue et retombé sur sa couche, il s’abandonne aujourd’hui à qui essaiera de faire à la fois disparaître la cause de l’ancien marasme et la cause des récentes convulsions. S’il est donné à un très petit nombre de penseurs et d’écrivains de préparer la loi future de l’Espagne, c’est la nation qui la doit accepter et proclamer par ses représentans. Le moment est décisif ; il ne se commettra point une faute