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que de nos jours elle justifie si pleinement, et si Pindare parle de l’aride Athènes, il suffit d’ouvrir Platon, au commencement du Phèdre, pour y trouver une peinture délicieuse des gazons qu’on chercherait vainement aujourd’hui sur les bords poudreux de l’Illissus. Je vais citer la belle traduction de M. Cousin : « Par Junon, le charmant lieu de repos ! Comme ce platane est large et élevé ! Et cet agnus-castus avec ses rameaux élancés et son bel ombrage, ne dirait-on pas qu’il est là tout en fleurs pour embaumer l’air ? Quoi de plus gracieux, je te prie, que cette source qui coule sous ce platane, et dont nos pieds attestent la fraîcheur !...... J’aime surtout cette herbe touffue qui nous permet de nous étendre et de reposer mollement notre tête sur ce terrain légèrement incliné. »

Ce charmant morceau est à sa place dans un travail sur la poésie grecque, car Platon est de la famille des poètes. Strabon appelle la description qu’on vient de lire un hymne, et il a raison. On peut faire en beaucoup d’endroits une remarque analogue. La forêt de Némée, dont parle Euripide, n’existe plus<ref> Dans la forêt qui fournit à Hercule sa massue, on ne trouverait pas aujourd’hui un bâton, dit Dodwell. (Travels in Greece, t. II, p. 211.) </f>. Le temple de Jupiter néméen s’élève dans un vallon où il ne croît que des broussailles. Le Cithéron, maintenant aride, était couvert de pâturages au temps de Simonide et de Sophocle. Il faut donc, avant de comparer la Grèce, telle que nous la voyons, à la Grèce que peignirent les poètes, admettre que le temps a pu amener quelques différences dans l’aspect des lieux ; mais, ces réserves faites, on doit reconnaître que le caractère général du pays n’a pas changé. Les montagnes, les plaines, les vallées, qu’ont vues Homère, Pindare, les tragiques, existent encore, et nous pouvons confronter le portrait avec l’original. De cette étude d’après nature résulteront, je l’espère, quelques enseignemens sur l’art de peindre chiez les poètes anciens, sur les procédés de leur imagination et les méthodes de leur style.

Ce qui frappe d’abord dans ce parallèle entre le modèle et l’image, c’est à quel point les poètes ont négligé dans leurs tableaux le côté sévère et quelquefois terrible de la nature grecque, et combien ils se sont complu, au contraire, dans la reproduction des aspects plus doux, plus rians, et aussi plus rares, qu’offre leur pays. Ceci tient à l’esprit même de l’antiquité. L’instinct qui faisait éviter aux Grecs de prononcer le nom des objets funestes, qui leur inspirait de représenter la mort sous des formes aimables, et un jeune homme qu’elle