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non pour son compte, les œuvres d’André Chénier à la main ; M. Jules Lefèvre en champion déterminé, et M. Barthélemy en spectateur. Depuis, M. de Latouche, qui avait marché en tête avec les vers d’autrui, a suivi de loin, en retardataire, avec les siens ; M. Jules Lefèvre s’est oublié sur un champ de bataille délaissé, et M. Barthélemy, après avoir tout d’abord versé du côté de la politique, s’est laissé tomber dans des ornières où se traîne pesamment son vers majestueux et sonore.

Les Adieux de M. de Latouche contiennent toutes ses poésies. Après avoir tenu long-temps sa muse en charte privée, M. de Latouche a fini, comme on finit d’ordinaire, par lui ouvrir la porte à deux battans. Pour un homme d’esprit, le calcul n’est pas habile ; il y a une saison pour les vers ; ne la laissez pas passer, si vous voulez que votre poésie paraisse aux yeux du monde avec sa jeunesse, sa fraîcheur, son éclat doré. Une muse qu’on garde long-temps en portefeuille ne peut plus en sortir qu’avec un air de vieille fille, à moins que ce ne soit une de ces muses privilégiées qui ont reçu le don de ne pas vieillir, la muse d’André, par exemple. Celles-là, on peut les ensevelir sous des décombres, elles en sortiront vivantes, et, pour ainsi dire, rajeunies ; mais qui est fiancé à de telles muses ? Ceux qui apportent en dot plus que de l’esprit, plus que du talent, ce je ne sais quoi presque divin qui élève si haut l’imagination et le cœur, et dont on ne trouve pas assez de traces dans les Adieux.

Le volume de M. de Latouche est divisé en trois parties, non par ordre de dates ou de sujets ; bien au contraire, tout est mêlé, et je soupçonne l’auteur d’avoir voulu, à l’aide de cet arrangement, nous dérober l’acte de naissance de certains morceaux, et donner à ses poésies un caractère d’unité. Il n’a pas songé qu’un visage ridé paraît plus vieux encore à côté d’un frais visage, et qu’il serait impossible de ne pas distinguer ses vers de l’empire des vers éclos au dernier printemps. On pourrait croire aussi que c’est un effet de contraste que M. de Latouche a cherché, et que c’est pour faire valoir ses nouveaux-nés qu’il a sacrifié les autres, si on ne connaissait la tendresse infinie d’un poète pour ses moindres rejetons. Quoi qu’il en soit, dans les Adieux, il y a partout de choquantes disparates. La périphrase prospère ; le Permesse altier, le Pinde, l’Hélicon, jouent un rôle important sur le recto de cette page, dont le verso appartient exclusivement à l’école moderne. Légendes, sonnets, élégies amoureuses, de tout temps et de toute école, sont entrelacés et confondus, et se nuisent mutuellement. Le lecteur n’est nullement entraîné, parce qu’il est placé dans des courans contraires. M. de Latouche, dans son volume, ressemble à un artiste qui jouerait à la fois plusieurs symphonies et déconcerterait l’auditoire.

Il est vrai que M. de Latouche dit n’avoir fait de vers que par passe-temps, comme on joue au whist ou aux échecs, et qu’alors il les a surtout composés pour son agrément particulier. Est-ce aussi par passe-temps qu’il a écrit des romans et qu’il a essayé du théâtre ? J’aime mieux croire, dans son intérêt,