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à mûrir. Puis, les récoltes achevées, quand la nécessité d’échanger leurs produits pousse les populations à traverser de grands espaces, une température plus supportable les invite aux voyages. Les nuits, un peu plus longues, permettent au sol de mieux s’imbiber de rosée ; l’homme a plus de force et de santé pour affronter les fatigues ; les animaux qui lui obéissent ont plus de courage pour franchir les grandes distances, pour gravir les montagnes et fouler le sable des plaines. Le temps d’hiver est aussi celui des promenades et des excursions pour les Européens. Les habitans de Bombay sortent de leur île, et font des parties à la voile aux grottes d’Eléphanta, aux caves de Salsette. Quelquefois on pousse le voyage jusqu’à Elora, car les monumens énigmatiques dont on ignore la date, marqués au sceau d’une antiquité si reculée que l’esprit se trouble à en rechercher l’origine, ont un prestige qui attire. Sans en déchiffrer les inscriptions, sans en saisir les symboles, on s’initie, au moins pour quelques instans, aux mystères des générations mortes avec le secret de leur existence.

Celui qui, en débarquant d’Europe, veut s’acclimater ou se reposer des chaleurs dans une atmosphère plus saine, ira s’établir sur les montagnes de Mahabéliswar ou aux cantonnemens de Poonah. D’ailleurs, il suffit d’avoir séjourné quelques semaines au milieu des sables et de l’étouffante poussière de Bombay pour éprouver le besoin de s’aventurer par-delà les cimes qui bornent la baie. C’est de ce côté, vers Poonah, capitale des Mahrattes de l’ouest, que nous nous dirigeâmes nous-même, dans cette belle saison qui commence en décembre et finit en février. La route des montagnes vient se joindre à une petite rivière, au fond de la rade, à neuf lieues de Bombay : c’est là qu’on doit se rendre. Le trajet s’effectue dans de charmantes barques à voiles latines, ordinairement la nuit, parce qu’il faut profiter d’une brise qui, après avoir soufflé avec force jusque vers trois heures, s’apaise subitement au matin. Bientôt on a laissé derrière soi les grands navires européens, les lourdes chaloupes asiatiques, qu’un commerce toujours plus actif attire par centaines autour de la ville anglaise. A mesure que l’on se plonge dans le calme d’une nuit sereine, qu’on entend bondir autour de soi les vagues agitées, on sent un bien-être inexprimable ; on renaît au bruit harmonieux du vent qui gémit dans les cocotiers serrées le long des îles. D’abord ; on glisse entre des roches sombres, escarpées ; puis on côtoie une rive plus basse moins sauvage ; la mer a fait place à un petit fleuve aux eaux tranquilles ; sur la côte, on distingue vaguement auprès des cabanes, où ne brille plus aucun feu, les palmiers qui balancent leurs têtes sous un ciel étoilé. Les matelots