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direct de la sagesse et de la félicité après la vie. Le christianisme est venu précisément bouleverser tout cela ; le Calvaire fait le contraire des jeux olympiques. Selon Pascal, qui est du Calvaire, il n’y a de profond et de sérieux dans l’homme que la sainte pauvreté et le dépouillement, la tristesse féconde qui se change en joie : tout le reste est légèreté. Il vous dira encore que la maladie est l’état naturel du chrétien. Si ces doctrines vous paraissent exagérées, transitoires, avoir besoin d’amendement, d’interprétation nouvelle, c’est une autre question ; mais, en fait, elles demeurent radicalement et primitivement chrétiennes, ou rien ne l’est. Dans le christianisme tel que nous l’entendons volontiers aujourd’hui, civilement et philosophiquement, on oublie trop une seule chose ; — mais pour ne pas avoir l’air de prêcher, quand je n’ai pour but que de rétablir le vrai sur Pascal, je prendrai un détour dont on ne se plaindra pas, avant de dire mon mot sur cette chose ou cette personne, qu’on oublie trop généralement aujourd’hui en parlant du christianisme.

Dans l’Hippolyte d’Euripide, lorsque le jeune et innocent chasseur est tombé victime de l’embûche que lui a dressée Vénus, Diane, sa divinité chérie, sa protectrice de tout temps et qui n’a pu toutefois le sauver, arrive du moins pour mettre ordre aux derniers instans, pour éclairer le malheureux Thésée et pour consoler, autant qu’il est en elle, le mourant. On apporte Hippolyte brisé sur un brancard, on le dépose devant le palais, et, Diane ayant dit un mot de pitié, le malheureux jeune homme s’aperçoit, à un certain soulagement qu’il éprouve, de la présence de la déesse.

HIPPOLYTE[1]

O souffle divin ! quoique dans les douleurs, je t’ai senti et je suis soulagé. — Sachez que la déesse Diane est dans cette enceinte.

DIANE

Oui, malheureux, la divinité la plus amie est près de toi.

HIPPOLYTE

Vois-tu, ma souveraine, l’état déplorable où je suis ?

DIANE

Je le vois ; mais les larmes sont interdites à mes yeux.

HIPPOLYTE

Tu n’as plus ton chasseur, ton fidèle serviteur…

  1. Je me sers de la traduction qu’a donnée de cette scène M. de Schlegel dans sa brochure sur les deux Phèdres.