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chute de l’empire ottoman, il le dépèce à sa guise, et, donnant le Danube à l’Autriche, il lui enlève le Pô, avec le consentement de toutes les puissances européennes. Cela fait, M. Balbo prend la Lombardie dans sa main ; il l’offre à la Savoie, et voilà un royaume lombardo-liguren. Mais quand les Russes seront-ils à Constantinople ? C’est le secret de l’avenir, M. Balbo ne le connaît pas ; il conseille seulement aux Italiens de se tenir prêts à tout évènement, quoiqu’il soit possible que l’heure attendue ne sonne que pour les générations futures. Cela n’est guère encourageant, et, en conscience, le livre de M. Balbo, au lieu de s’appeler des Espérances, devrait s’appeler de la Résignation de l’Italie.

Mentionner Louis XIV et son Siècle, par M. Alexandre Dumas, c’est trouver la transition la plus naturelle pour passer aux romans. De l’histoire comme l’écrit M. Dumas au roman, il n’y a que la main. Ainsi nous pouvons descendre sans autre précaution vers l’île des Cygnes, de M. Roger de Beauvoir. Ce sont trois ou quatre nouvelles espagnoles, assez communes et très compliquées, écrites en français médiocre. Dans le plus intéressant de ces récits, le Chevalier de Charny, il y a une jeune fille sous des habits d’homme qui ressemble passablement au Gabriel de Mme Sand, et ce n’est pas ce qu’il y a de moins nouveau. On peut juger du reste. L’île des Cygnes est dédiée avec grand fracas à une comtesse. Dans la dédicace, qui est le morceau le plus soigné du livre, l’auteur, en veine de flatterie, faisant fumer l’encens dans sa plus belle cassolette, dit à Mme la comtesse, en lui parlant d’autres femmes, qu’elles étaient non moins vives, non moins aimables qu’elle. « Non moins vives, non mois aimables que vous, madame ! » Comme cela est galamment tourné ! et que cela a bien l’air d’un compliment ! Il n’y a que peu d’écrivains pour trouver de ces tour-là. M. de Beauvoir, pour justifier le titre de son livre, fait intervenir un vieux chanoine espagnol, l’installe à côté de lui au milieu de l’île des Cygnes, et commence par remplir ses yeux de grosses larmes. On peut remarquer que les romanciers les moins sensibles sont les plus prompts à faire pleurer les gens.

Les goûts sont divers. M. de Beauvoir dédie ses romans à une comtesse ; M. Louis Veuillot dédie les siens à un curé. M. Veuillot a mis le catholicisme en nouvelles, ses nouvelles en feuilletons, et ses feuilletons en volumes : achetez les Nattes. N’allez pas croire que M. Veuillot se pique d’être le moins du monde écrivain ; il se moque d’avance de ceux qui s’occupent de son style : « Braves gens, dit-il, pauvres gens qui épluchez mes phrases ! Est-ce que je songe à mes phrases, moi ? » À quoi songez-vous donc quand vous bâclez vos nouvelles ? À leur donner quelque intérêt sans doute. Eh bien ! savez-vous que vous n’avez pas réussi, et que vos contes, sauf le premier, sont peu amusans, et, pour parler votre langue qui aime le mot propre, sont ennuyeux ? Clorinde et Clémentine, les histoires de Théodore, l’École du Cœur, sont des prônes déplacés. Il y a plus : M. Veuillot ne se contente pas de prêcher, il bataille, et ressemble à un prêtre qui, dans sa chaire, agiterait à tour de