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souvent avec autant d’audace que d’impunité. Ne pouvant disposer que de quelques troupes noires à moitié disciplinées pour maintenir son autorité sur le vaste territoire qui s’étend de Tafilet à Salé, de Tetouan à Mogador, le sultan n’exerce guère sur ces populations nomades et guerrières qu’une sorte de suprématie religieuse, souvent contestée par le fanatisme et l’esprit de faction.

Imitateur du pacha d’Égypte, Muley-Abderraman a étendu le joug de son monopole commercial sur les ports et les provinces limitrophes de la Méditerranée, les seuls points de son empire où son autorité soit toujours respectée. L’influence de Fez, la ville sainte et la vieille capitale du royaume de ce nom, se fait constamment sentir au détriment de l’autorité centrale, et l’empereur n’est parvenu jusqu’ici à contenir ce mouvement dangereux qu’en confiant à son fils aîné l’administration de la partie de ses domaines où il ne peut résider. C’est dans cette portion du Maroc qu’Abd-el-Kader a noué des relations dont la portée, signalée depuis long-temps dans cette Revue même, se découvre aujourd’hui à tous les yeux. L’ambitieux émir, héros et martyr de l’islam, est devenu pour le sultan du Maroc un rival plus dangereux que tous ceux qui depuis vingt ans lui ont disputé le trône. Le royaume de Fez, depuis le pied de l’Atlas jusqu’à la frontière française, est le centre de cette action moins politique que religieuse, et en s’armant pour la guerre sainte, les tribus se constituent en face de Muley-Abderraman dans un état voisin de l’insurrection. C’est de ce point de vue qu’il faut envisager les évènemens qui se passent dans l’ouest de la régence d’Alger. Il ne s’agit donc pas pour la France d’avoir raison du gouvernement marocain, plus inquiet qu’elle ne peut l’être elle-même des trames et des projets d’Abd-el-Kader ; il s’agit pour elle de triompher d’une ligue pieuse, et de prêter aux décisions de l’empereur une force dont elles sont malheureusement dépourvues. Rien de plus facile que de menacer Tanger et Tetouan, de détruire sur les chantiers de Larache et de Rabat les débris vermoulus de la marine marocaine ; mais en quoi de pareils actes avanceront-ils nos affaires dans les provinces de Fez et de Tafilet ? Comment affaibliront-ils Abd-el-Kader et mettront-ils l’empereur en mesure d’exercer dans ses domaines une action plus efficace ? Là gît tout le problème, et c’est aux évènemens seuls qu’il appartient malheureusement de le résoudre. Nous commençons une entreprise dont le caractère n’est pas plus facile à déterminer que la portée ; nous nous engageons dans une guerre bien moins contre l’empereur que contre son peuple et contre son rival, et nous devrons traiter avec un pouvoir évidemment incapable de faire respecter les transactions qu’il aura passées avec nous. C’est là ce qui affaiblit sensiblement la portée de cette médiation anglaise qu’on s’est si fort empressé de nous offrir. L’intervention de la Grande-Bretagne ne s’est signalée jusqu’à ce moment que par un acte très préjudiciable à nos intérêts, l’arrangement amiable du démêlé avec l’Espagne. Le concours de celle-ci dans une guerre contre le Maroc serait en effet de la plus haute