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boire dans nos mains comme des mendians ou des philosophes cyniques. — Ce sont neuf quilles et une boule, ajoute Mome, le gentil bouffon. — Ah çà ! Dit Jupiter, le ciel est donc pénétrable ; on le crève donc comme un plafond de papier ; nous ne sommes donc plus en sûreté dans cette bicoque d’azur. Les fils de la terre deviennent de plus en plus insolens, mais je leur rabattrai bien le caquet ; je tonnerai, je grêlerai, je pleuvrai sur eux d’une si rude manière, qu’ils rentreront bien vite dans le devoir.

La conversation en est là quand paraît Apollon, qui a fini sa journée, mis ses rosses à l’écurie et son coche sous sa remise ; il est naturellement mieux informé que personne de ce qui se passe sur la terre, qu’il est chargé d’éclairer en sa qualité de grand-duc des chandelles, que lui a décernée Dubartas. Il a vu Typhon, qui jouait avec sa bande en Thessalie, jeter les quilles contre le ciel. — Ce drôle finit par m’échauffer la bile, et la moutarde commence à monter à mon nez olympien, dit Jupiter en fronçant son sourcil de peau de taupe. Holà ! Mercure, chausse au plus vite tes souliers à talonnières, ils sont tout frais ressemelés, et va dire à ce sacripant que, s’il ne se tient pas tranquille, il aura à faire à moi.

Le fils de Cyllène se coiffe de son petasus, s’attache les ailes au pied avec une bonne ficelle, prend sa canne entourée d’anguilles, fait une révérence d’enfant de chœur, et le voilà parti. Il fend l’air, traverse les nuées, et ne s’arrête que sur l’Hélicon pour casser une croûte et boire un coup. Il trouve là les neuf Muses occupées à bluter des rondeaux, à vanner des sonnets, à trier des jouissances et des regrets. C’est le propre des vieilles filles et des dévotes de s’adonner à faire des confitures ; aussi présentent-elles à Mercure un pot de cerises et un fond de pâté entamé la veille par Apollon. Quand il a mangé, il s’essuie proprement la bouche avec le dos de la main, comme le fait un dieu bien élevé à qui l’on n’a pas présenté de serviette, et il repart au pas de course pour s’acquitter de sa commission.

Mercure arrive entre chien et loup dans l’endroit où se trouvent les géans ; on y voit encore un peu clair, mais la nuit ne tarde pas à déployer ses jupons pailletés d’étoiles. Les vauriens sont dans une plaine, non loin d’une forêt, occupés à faire un bûcher pour faire cuire une carbonnade. La forêt tout entière y passe : c’est un entassement de chênes noueux, de pins échevelés, d’ormes avec leurs racines, à croire que l’on veut brûler le monde. Des centaines de bœufs mis en quartier et qu’on a négligé d’éplucher de leurs charrues, rôtissent sur cet océan de charbons. Des milliers de moutons enfilés