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une ame. Et quelle ame ! plus laide encore que le corps ! Ce monstre difforme, qui reste sur terre pour être un exemple continuel de la vengeance de Dieu, a osé vomir sa bave et son venin sur la pourpre d’un prince de l’église, qui, sous les auspices de Louis, conduit si heureusement le premier état de la chrétienté. La vue d’un chapeau écarlate le fait entrer en fureur, comme un bœuf ou coq d’inde, et même il n’a pas voulu entendre un sonnet assez doux de Cyrano, et a forcé la personne qui l’avait déplié à le remettre dans sa poche. — Certes, l’on ne peut douter que Cyrano de Bergerac ne professât une grande admiration pour le cardinal Mazarin et ne lui fût tout dévoué ; cependant le certain petit sonnet assez doux, qui a dû sembler fade à un homme poivré, entre pour quelque chose dans toute cette colère.

Scarron, du reste, n’avait pas la chance pour les dédicaces. Son père, qui était un homme d’humeur assez singulière, une espèce de philosophe cynique, bizarre et fantasque dans sa conduite, eut l’imprudence de se mettre d’une partie faite entre des conseillers pour traverser quelques desseins que le cardinal-duc Armand de Richelieu avait fort à cœur : la robe-rouge ne badinait pas en fait d’incartades politiques, et pourtant elle montra une clémence relative en se contentant d’exiler en Touraine le conseiller Scarron. Heureusement le bonhomme avait du bien près d’Amboise ; il s’y retira et s’y tint tranquille. Notre poète comique, qui savait le cardinal rancunier comme un Espagnol, et vindicatif comme un Corse, laissa du temps s’écouler, et lorsqu’il pensa le ressentiment de l’affaire amorti, il se hasarda d’adresser une requête à l’éminence, démarche d’autant plus nécessaire que, pendant l’absence du père Scarron, la marâtre, restée à Paris, n’avait rien négligé pour s’approprier le bien, et que la pension du pauvre infirme, comme vous le pouvez penser, n’était guère exactement payée. Dans cette requête, une de ses meilleures pièces, il demande à monseigneur le cardinal la grace de son père, qu’il excuse de son mieux. Depuis ce malencontreux exil, Paul fils de Paul se trouve attaqué d’un mal bien dangereux :

C’est pauvreté, qui perd tous les esprits
Et tous les corps quand par elle ils sont pris.
Elle me prit lorsque mon pauvre père,
Qui de vous seul tout son salut espère,
Prit certain mal qu’on prend au parlement,
Et qu’on ne prend ailleurs aucunement.
Ce mal, nommé le zèle des enquêtes,
Fait aujourd’hui grand mal à bien des têtes.