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de France, duc d’Orléans, frère de Louis XIII, qui daigna s’informer de la santé du pauvre diable, et parut s’intéresser à sa situation. Il s’employa pour faire revenir d’exil le père Scarron ; mais soit qu’il n’eût pas pris sa cause assez chaudement, soit que le ressentiment de Richelieu persistât encore, le conseiller récalcitrant ne fut pas rappelé, et il mourut entre Amboise et Tours, c’est-à-dire à Loches, sans autre divertissement que le voisinage de son ami l’abbé Deslandes-Payen, conseiller de la grand’chambre, prieur de la Charité-sur-Loire et abbé du Mont-Saint-Martin. Le duc de Saint-Aignan en particulier fut si flatté de l’endroit qui le regardait dans la Légende de Bourbon, qu’il en remercia Scarron par une épître en vers de sa façon, à laquelle celui-ci ne manqua pas de répondre. Mais ceux qui lui firent le plus d’accueil à Bourbon furent un M. Fransaiche et sa femme, qui l’emmenèrent dans leur maison où il resta un mois, gorgé de bonne chère et de friandises, car, dans le grand ravage que la maladie avait fait sur notre poète burlesque, elle avait respecté l’appétit son estomac semblait avoir retiré à lui la vie qui désertait le reste du corps. Il était gourmand comme un chat de dévote, et ne laissait les bons morceaux que pour les meilleurs ; aussi parle-t-il avec une reconnaissance qui donne envie de manger, des chapons du Maine et des pâtés de perdrix que lui donnaient Mlle d’Hautefort et d’Escars.

On faisait souvent dans sa maison des écots et des régals entre gens de la meilleure compagnie ; le vin y était bon, la chère délicate, et la conversation des plus enjouées. Il est probable que ses illustres convives ne laissaient pas toute la dépense à sa charge, qu’ils lui envoyaient soit des bourriches de gibier, soit des paniers de vins généreux, et que Scarron ne fournissait guère que l’esprit, la table et les morceaux de résistance, il ne manquait même pas dans le logis du poète de jolis visages, quoiqu’il ne fût pas encore marié. Il avait retiré chez lui ses deux sœurs du premier lit, Anne et Françoise. L’une d’elles avait de la tournure, une figure charmante et de l’esprit. Le duc de Trêmes, qui fréquentait chez Scarron, se prit de goût pour elle et lui rendit des soins qui furent assez favorablement accueillis pour qu’il en résultât un enfant que Scarron appelait en plaisantant son neveu à la mode du Marais. Ce garçon épousa une demoiselle Anne de Thibourt et fut écuyer de Mme de Maintenon. Scarron était loin, comme on voit, de se poser en frère féroce, et il disait de ses deux sœurs que l’une aimait le vin et l’autre aimait les hommes ; cette appréciation succincte nous a la mine d’être sincère. Il prétendait aussi que dans la rue des Douze-Portes il y avait douze coureuses, en ne