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errer son regard à l’aventure par ces campagnes qu’embrase un vrai soleil de Castille, c’est la fille d’un vieux comte, l’orgueil et la richesse de don Alfonso Munio ; c’est la vertueuse Fronilde qu’alarment tout à la fois les périls de son père et les périls de l’infant don Sancho : don Alfonso Munio ! don Sancho, l’infant de Castille ! deux noms populaires en Espagne, et qui sont demeurés dans toutes les mémoires, comme ceux des La Cerda, des Lara, des Basan. Don Alfonso est l’ami et le conseiller, le premier vassal, le premier chevalier de don Alonzo-le-Guerrier, septième du nom, le même, qui, après trente victoires, se fit couronner empereur à Tolède et à Léon. Don Sancho, c’est le fils du roi, celui qui plus tard s’appela Sancho-le-Désiré, dont le règne fut si court et la mort si amèrement pleurée ; don Sancho occupa le trône une année à peine. Quand on parcourt les sanglantes annales de l’Espagne au moyen-âge, on s’arrête un instant à contempler le doux contraste que forme sa physionomie soucieuse et un peu hautaine avec les princes qui l’ont précédé et avec ceux qui ont tenu le sceptre après lui. C’est le fils de la grande reine Berenguela, princesse résolue que l’on entrevoit toujours dans les camps ou dans les sierras de Léon, suivant à cheval le roi-empereur, ou bien encore présidant aux tournois et au fêtes somptueuses, aussi puissante chez les Maures que dans le cœur de ses sujets les plus fidèles par son renom incomparable de vertu et de beauté. On jugera de l’autorité irrésistible qu’exerçait une seule de ses paroles par le trait suivant, que nous trouvons dans l’histoire d’Espagne, et que les anciens dramaturges n’ont eu garde de négliger. Réduite à l’extrémité dans Tolède, où elle soutenait, en l’absence de don Alonzo, un siége vigoureusement poussé par un prince de la race indomptée des Almohades, elle envoya dire à ce prince que c’était violer toutes les lois de la chevalerie de presser ainsi une femme abandonnée à elle-même. Une heure après, le siége était levé ; le croissant ne rayonna plus sur les collines qui environnent Tolède ; du haut des tours de la ville, on put voir disparaître, un à un, au détour des vallées castillanes, les manteaux blancs des chevaliers maures ; le prince avait porté ses forces dans les comtés où combattait don Alonzo. Pour célébrer un si heureux évènement, Berenguela fit donner un tournoi magnifique où elle-même, de ses mains royales, devait récompenser le courage à ce tournoi, douze chevaliers inconnus, la visière baissée, cachant leur écu et leur devise, se présentèrent tout à coup dans l’arène, et les histoires chrétiennes sont forcées de convenir que, de l’un à l’autre bout de la fête, ils se comportèrent avec un tel sang-froid, une telle vaillance, qu’on ne put, sous peine d’injustice, leur refuser