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l’amour n’a pas exclusivement le caractère espagnol ; à quelques tirades un peu verbeuses, et surtout beaucoup trop philosophiques, il est très facile de reconnaître que depuis long-temps il n’y a plus de Pyrénées pour les héroïnes de Mme Sand[1]. Quoi qu’il en soit de cet amour, au moment où Fronilde l’exprime avec une ardeur si naïve, un évènement survient qui le contrarie et le doit briser. Avant les derniers combats soutenus contre les Maures, les deux maisons de Castille et de Navarre se faisaient une guerre opiniâtre, au grand scandale de l’Europe. chrétienne, qui voyait l’islam relever la tête, et peu à peu reprendre vie à la faveur de ces dissensions. Alarmés à bon droit de son audace renaissante, les principaux vassaux des deux couronnes, comtes, caballeros, ricos-homes, intervinrent à la fois par les respectueuses représentations et par les menaces ; la paix se conclut, et, pour qu’elle fût durable, on convint d’unir l’infante de Navarre à l’héritier de Castille et de Léon ; ainsi devaient se résoudre toutes les questions de territoire et de suzeraineté. A l’époque où s’engagèrent les premières hostilités contre les Maures, les dernières négociations étaient à peu près terminées déjà. Éperdument épris de Fronilde, occupé d’ailleurs à battre les infidèles, l’infant don Sancho ne songeait guère à la princesse de Navarre ; rentré à Tolède, il l’avait oubliée complètement aux genoux de la fille du comte Alfonso, quand des chevaliers de Navarre viennent solennellement rappeler à la reine Berenguela que la main de leur infante est accordée à son fils. Leur langage est pressant et un peu amer, leur attitude hautaine ; voici bien des jours que l’alliance est arrêtée ; on s’étonne qu’elle ne soit pas consommée encore ; des deux parts, les esprits se froissent et s’aigrissent ; il est temps d’en finir si l’on ne veut point que la querelle se rallume plus vive que jamais entre les deux pays.

Au troisième acte, l’infant don Sancho s’efforce d’étouffer sa passion, qui enfin prévaut sur les plus grands intérêts de Léon et de Castille ; l’épreuve est trop forte pour que le jeune prince y puisse tenir. Vaincu par l’amour, il déclare hautement que sa vie entière appartient à Fronilde ; c’est en pure perte que ses chevaliers, ses conseillers, la reine Berenguela, Fronilde elle-même, lui font entrevoir les malheurs que doit inévitablement appeler sur la Castille une telle détermination.

  1. Alfonso Munio n’est point le début littéraire, mais bien le début dramatique de la señorita Gomez de Avellaneda. Depuis deux ans, doña Gertrudis a publié un beau recueil de poésies lyriques et deux romans, Sab et las Dos Mugeres (les Deux Femmes), où se fait sentir plus encore que dans la pièce l’influence d’Indiana.