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armée assez considérable pour une population de quinze cent cinquante mille habitans. Voilà ce qu’on appelle dans l’Inde une restauration, parce que la bannière, de Civadjî flotta de nouveau sur la contrée où régna jadis le héros mahratte. Ce qui reste désormais d’artillerie aux habitans de Poonah consiste en cinq petites pièces de deux rougies du sang des victimes offertes à Dourga et confiées aux brahmanes de Pârvatî-Hill, qui les gardent respectueusement sous un hangar. Au jour de la grande fête, assez triste désormais, ces canons inoffensifs tonnent du haut de la colline, mais d’une façon si peu belliqueuse, que des aigles viennent nicher sur les acacias, aux abords du temple. Ces insidieux brahmanes, si détestés des Anglais, qui avec raison voient en eux des ennemis toujours prêts à conspirer, survivent donc à l’indépendance de leur pays. Tout pensionnés qu’ils sont pour entretenir les idoles et conserver les traditions de la langue sacrée, le joug leur pèse ; ils ne peuvent oublier l’heureux temps où ils gouvernaient les princes, où les solennités religieuses faisaient tomber dans leurs mains des aumônes abondantes. Réduits au rôle de desservans et de maîtres d’école, ils se voient : souvent contraints d’embrasser les professions que la loi leur permet en cas de détresse, et certes jamais le législateur n’avait prévu celle dans laquelle ils devaient tomber un jour.

Au nord-est de la colline s’étend un lac charmant entouré de coteaux boisés ; une île assez spacieuse en occupe le milieu. Sur cette île, on voit un petit temple, une habitation de brahmanes, et un de ces jardins ou de frais ombrages invitent à la rêverie Aux guerriers appartiennent les montagnes, aux gardiens du culte les vallées ; c’est dans les vertes prairies, au bord des ruisseaux, que les religieux de l’Inde se plaisaient à copier les manuscrits sur feuille de palmier, à revoir les anciens textes, pareils en cela aux bénédictins : valles benedictus amabat. On comprend très bien que les hôtes de ce séjour privilégié se livrassent à l’étude de la philosophie, à la vie contemplative, loin des bruits du monde ; jamais lieu ne fut mieux choisi pour la méditation. Quoi de plus favorable aux élans de l’imagination qu’un climat admirable, des sites enchanteurs, une eau tranquille qui reflète tour à tour les étoiles du firmament et les dômes des bois ? Dans les temps de troubles, combien cette retraite devait paraître paisible, quand les montagnes voisines se couvraient de combattans et retentissaient de cris terribles ! Cette île devenait sacrée, comme la pensée intime qui se cache au fond du cœur. Plusieurs fois, après avoir gravi les hauteurs environnantes, je vins m’asseoir au pied des grands arbres et