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évident : toujours il procède par l’observation rigoureuse des faits, jamais il ne trouve assez d’appuis à sa pensée ; mais sous les formes sévères de sa méthode se cache ou plutôt se trahit une imagination qui reproduit vivement, si elle ne crée pas. Cette imagination le sert et parfois le séduit en se cachant de lui avec plus de soin encore que ne faisait, dit-on, celle de Malebranche. Ce qui se montre dans ses écrits se retrouvait dans sa nature, et il était plus ému des choses que ne le laissait voir la noble tranquillité de sa figure et de son attitude.

On peut relire les fragmens qu’il a écrits pour le Globe. Les plus importans ont été recueillis. La raison s’y montre partout sans doute, mais une raison ardente et persuasive, et les idées générales n’y servent qu’à voiler une forte polémique. On sent en le lisant, qu’un adversaire puissant est là, et que la vérité est en péril. L’état général des esprits à cette époque était le sujet inépuisable de nos articles. C’est le fait que nous considérions sous tous ses points de vue, fait puissant qui contenait tous les autres, centre de toutes nos recherches, et que nos constans efforts avaient pour but de caractériser et d’établir, comme le plus fort obstacle aux vues de la restauration et la plus forte objection à ses doctrines ; car, malgré la sagacité de ses plus illustres défenseurs, elle avait constamment méconnu, elle mettait son orgueil à méconnaître la réalité et la profondeur de la révolution dans les’ idées. Elle voulait tout attribuer aux passions, individuelles, aux illusions d’un moment et se représenter comme un mal passager une rénovation sociale. De là l’espoir insensé de tout réparer à sa guise, et de là aussi la vanité de ses efforts. C’était donc lui répondre et l’intimider peut-être que de lui montrer sans cesse la grandeur des résultats accomplis comme supérieure à toute tentative de réaction. La discussion des principes, si goûtée et si brillante au début de la révolution, devait être en ce sens modifiée et complétée, quand nous approchions de son terme, par l’observation et la description des faits. On sent combien cela devait convenir à l’esprit de M. Jouffroy. Dans la politique, il retrouvait ainsi sa philosophie, et pouvait appliquer aux questions du jour la même méthode qu’aux recherches des lois éternelles de l’esprit humain. C’est ce qui donne tant de solidité à sa polémique. Lorsqu’il raisonne, il semble raconter ; l’observation se mêle partout à la déduction ; les idées les plus neuves prennent l’air de simplicité notions du sens commun, et la conviction est irrésistible sans paraître passionnée[1].

  1. Voyez surtout, dans les premiers Mélanges, les articles intitulés : Comment les dogmes finissent et la Sorbonne et les Philosophes.