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à Rome de n’avoir pas sauvé en 1815 le maréchal Ney et le roi Murat ; il demande pourquoi le pape n’a pas délivré. Napoléon prisonnier à Sainte-Hélène : « Où est l’homme, s’écrie-t-il, qui n’eût été frappé, ébranlé jusque dans le fond de son cœur, à la vue de ce Prométhée délivré du vautour par l’Hercule chrétien ? » Tout à l’heure on raillait le pape de son impuissance, maintenant c’est un autre Hercule. Ici le poète domine, et sans doute M. Quinet s’est imaginé qu’il faisait des vers. De pareilles choses ne devraient pas s’écrire en prose.

M. Quinet loue beaucoup le XVIIIe siècle, et il veut faire de la gloire de cette époque son arme la plus redoutable contre le catholicisme. Cette intention n’est pas nouvelle, et d’autres l’ont elle avant lui. Peut-être les écrivains si spirituels et si clairs du XVIIIe siècle, s’ils pouvaient lire le panégyrique, que leur consacre l’auteur de l’Ultramontanisme, seraient-ils un peu surpris par le jugement dont leur époque se trouve l’objet. « Le XVIIIe siècle, dit M. Quinet, est arraché à sa vallée d’Égypte ; il laisse derrière lui ce qu’il a adoré, et les Pharaons le poursuivent pendant plus d’une journée. Il est entraîné à l’écart par ceux qui le conduisent. » Le XVIIIe siècle entraîné à l’écart ! Mais ceux qui l’ont défendu avaient toujours pensé qu’il n’avait jamais quitté le chemin direct des idées légitimes et puissantes. Le XVIIIe siècle, qu’il en ait eu plus ou moins conscience, est l’héritier d’Abailard, de Montaigne et de Descartes. Ici M. Quinet méconnaît la tradition philosophique comme il a méconnu la tradition du pouvoir civil. « L’homme moderne, écrit-il, reste loin de la vieille société, sans aucun intermédiaire, en face de la raison. » Non, il y a eu des intermédiaires ; sans remonter aux grands hommes que nous avons nommés, nous ne sommes arrivés à Voltaire qu’en passant par Bayle, et l’auteur du Télémaque a préparé l’auteur de l’Émile. En pénétrant dans le XVIIIe siècle, dont M. Quinet veut se faire l’historien, nous avons en vain cherché Diderot, d’Alembert, l’Encyclopédie et Fréret. Cependant il est impossible d’avoir l’idée la plus élémentaire de ce siècle sans apercevoir les fondateurs de l’Encyclopédie, sans contempler les lignes principales de ce grand monument, sans apprécier, même en courant, les travaux du célèbre critique, qui est un des plus formidables ennemis du christianisme. Puisqu’il voulait glorifier le XVIIIe siècle, M. Quinet aurait dû lui emprunter un peu de son esprit d’analyse.

Arrêtons-nous un instant devant la figure de Voltaire. L’empire que ce grand homme exerça sur son siècle fut si étendu, que sur ce point l’exagération n’est pas possible. M. Quinet, dans son enthousiasme assez fraîche date pour Voltaire, a donc pu se donner librement carrière. Nous ne le chicanerons pas pour avoir dit que Voltaire s’est assis