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écrit M. Quinet, nous ne parlons que de sa prose, un reflet splendide du génie poétique de M. de Châteaubriand. C’est un de ceux qui, parmi nos contemporains, ont été le plus frappés par le style immortel de l’auteur des Martyrs, et qui ont su en garder quelques rayons. Il faut ajouter à ces impressions les idées et les sentimens dont M. Quinet a été s’inspirer en Allemagne. Pour lui, la métaphysique allemande fut comme une poésie initiatrice, et il sut teindre de vives couleurs les trames subtiles de l’idéalisme germanique. Par une réaction qui nous prouve une fois de plus que M. Quinet est un poète, l’auteur d’Ahasverus professe aujourd’hui autant de dédain pour l’Allemagne qu’il ressentait autrefois d’enthousiasme pour elle. A l’entendre, les illustres universités d’Allemagne ne disent plus rien, la torpeur est à Berlin, et la mort à Munich. Devait-on s’attendre à trouver de pareilles sentences dans la bouche du traducteur de Herder et de l’hôte d’Heidelberg ?

Dans la critique littéraire, M. Quinet apportait un précieux avantage, son imagination ; grace à elle, il pouvait entrer mieux que personne dans l’intelligence, dans le secret de ces grandes épopées où se reflète la vie héroïque et religieuse des peuples. En fécondant encore par l’étude cet heureux don, M. Quinet était appelé à se faire une belle place parmi les historiens de la littérature. Les morceaux si remarquables qu’il a réunis sous le titre d’Allemagne et Italie, et qui ont paru successivement dans cette Revue, attestaient une touche aussi ferme que brillante ; ils annonçaient un critique vraiment artiste qui saurait comprendre en penseur, commenter en grand écrivain les œuvres du génie et les monumens des civilisations. Pourquoi faut-il que, depuis plusieurs années, ces belles espérances aient été, sinon détruites, du moins bien ajournées ? Pourquoi M. Quinet semble-t-il dédaigner aujourd’hui les études auxquelles il doit ses meilleurs titres, et qui seules peuvent confirmer sa renommée dans l’avenir, pour se livrer uniquement à une polémique plus retentissante qu’utile et judicieuse ? Le temps s’écoule cependant, et le talent, au lieu de se fortifier, de s’accroître, s’amoindrit et s’égare.

Les intelligences élevées doivent, à mesure que la vie se déroule devant elles, trouver de plus en plus la force et le calme, et se séparer des agitations stériles. Il arrive un moment où l’esprit apprécie toutes choses pour ce qu’elles valent, et n’a plus qu’une ambition sérieuse : c’est de se contenter lui-même. Alors, dans quelque route où se trouve engagé l’écrivain, qu’il soit poète, historien, philosophe ou publiciste, il s’honorera par un culte sévère de l’art et de la science, et dédaignera de sacrifier aux faux dieux. Il aura un mépris tranquille pour ces