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le bon sens découvre aisément toutes les intrigues parées du manteau de la religion, comprendra ce que cela veut dire.

On parle de corruption ! Il faut mettre de côté cet argument, qui n’est pas sérieux. Douze cent mille francs ne tiendront pas une grande place au budget parmi les fonds que reçoit déjà le culte catholique. La commission na pas pu penser que l’église consentirait pour si peu à donner le baiser de paix à l’Université. C’eût été vraiment se tirer d’affaire à trop bon marché. Disons la vérité, il ne s’agit pas ici pour le clergé d’une question d’amour-propre ; son honneur n’est pas enjeu : il s’agit pour lui d’un intérêt de domination. Le sanctuaire est devenu trop étroit ; on y étouffe. On ne veut pas se résigner à n’élever que des prêtres, on veut élever les laïcs, sans surveillance et sans contrôle. Na-t-on pas dit que le droit d’enseigner est une mission divine, qui appartient à l’église ? Voilà tout le secret de cette grande colère soulevée contre le rapport de M. Thiers à propos des huit mille bourses. La commission a frappé l’endroit sensible. Ajoutez quelle a été généreuse autant qu’habile, et que M. Thiers a mis dans son langage autant de mesure que de fermeté. Cette modération devait, avoir pour effet de redoubler l’emportement des écrivains qui se sont constitués les défenseurs du clergé. Plus on est calme et juste, plus on court le risque d’exaspérer les gens violens.

Aussi, lisez en ce moment les feuilles ecclésiastiques ; vous vous croirez dans un temps de révolution Les pouvoirs publics sont accusés de tyrannie et dénoncés à la haine des citoyens. Les journaux légitimistes font entendre leur voix dans ce concert d’injures contre le gouvernement de juillet, et leur langage est édifiant. Ce sont eux qui attaquent le plus amèrement les huit mille bourses, l’œuvre de la restauration Lorsque Charles X donnait ces huit milles bourses aux petits séminaires, il faisait un acte de munificence qui témoignait de son zèle pour l’église ; mais si le gouvernement de juillet venait à rétablir ce don de la restauration, il ferait un acte de perfidie, qui témoignerait de son irréligion et de la perversité de ses projets contre le clergé ! Admirez la force et la sincérité de ce raisonnement ! Ce qu’il y a de plus édifiant encore, ce sont les outrages que les journaux ecclésiastiques adressent à M. Thiers. On l’appelle un sacrilège, un dissolu, un homme de sang et de boue ; on le compare à Robespierre. Que doivent penser MM. les évêques en lisant dans leurs journaux de pareilles choses ? Nous ne leur ferons pas l’injure de supposer qu’ils les approuvent nous aimons mieux croire qu’elles sont du goût de ces docteurs « trop contestés, » à qui la commission de l’instruction secondaire n’a pas voulu confier « la jeunesse de la France. C’est en effet leur manière de discuter ; on reconnaît leur style. Cependant l’épiscopat peut bien mériter aussi quelques reproches au sujet de cette effervescence des journaux néo-catholiques. Il écrit si souvent dans ces journaux qu’on est en droit de supposer qu’il les dirige. Pourquoi donc ne cherche-t-il pas à leur donner des leçons de convenance et de justice ? Pourquoi ? nous le dirons franchement : c’est qu’il craint de se brouiller avec eux, et qu’il croit malheureusement ne pas pouvoir se passer de leur dangereux appui.