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les diverses portions de leur œuvre, ils cherchent le coup de théâtre et ne songent qu’à suspendre la curiosité. Ce procédé matériel, fatal aux vues d’ensemble, détruit l’harmonie, la sobriété, la grace, l’heureux équilibre des parties ; le livre n’est plus qu’une course au clocher, partagée en plusieurs casse-cou ; nul talent au monde ne résisterait aux dangers de ce mode de fabrication. Sans doute Richardson l’employait : Clarisse, Pamela, Grandisson, parurent par numéros détachés ; mais d’abord ces livres pèchent par la composition, bien qu’ils se relèvent par la fécondité et le détail ; ensuite l’esprit religieux des souscripteurs auxquels Richardson s’adressait remplaçait la curiosité fébrile du lecteur moderne. Il était permis d’ennuyer périodiquement son monde, pourvu qu’on l’ennuyât moralement. Aujourd’hui l’auteur n’a plus cette latitude. Il est tenu d’être toujours piquant, rapide, accentué, coloré, intéressant, surprenant ; à ces conditions seules, on lui permet la diffusion et les longueurs.

Il serait injuste de ne pas s’occuper quelques instans de plusieurs ouvrages d’agréables causeries et d’anecdotes, qui forment une gerbe variée, par exemple, les Scènes et Contes : de la vie de campagne[1], et les Gleanings in natural history, de M. Édouard Jesse. Ces deux livres ont pour modèle un charmant et ancien volume qui n’est pas connu en France, White’s History of Selborne, et dont on peut donner une idée aux lecteurs de cette Revue en rappelant à leur souvenir les intéressans morceaux que M, de Quatrefages y a insérés. C’est un petit coin de la nature prise sur le fait, étudiée patiemment, amoureusement, par un artiste, un savant, étudiée comme chose vivante avec une sympathie attentive, qui serait désolée d’en perdre un seul aspect. Peut-être y a-t-il quelque chose de trop enfantin dans l’étude de M. Jesse, comme celle de Bernardin de Saint-Pierre était trop coquette et recherchée. White, plus naïf, ne voulait pas composer un livre, mais satisfaire son secret penchant. L’observation de M. Edouard Jesse, qui par parenthèse est inspecteur royal des parcs et domaines de Windsor, est moins spontanée, quoique minutieuse et quelquefois puérile ; mais il en expose les résultats avec une modestie qui charme. Vous le suivez volontiers dans ces allées couvertes de l’ombre que versent les vieux chênes anglais ; il comprend surtout et explique une difficile matière qui a embarrassé bien des philosophes, les instincts

  1. Scenes and Tales of Country-Life, with recollections of natural history, by E. Jesse ; 1843.