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des apparences exactes et sérieuses, il n’y a là qu’un roman. Malthus envisage la fertilité du sol et la reproduction de l’espèce comme des termes d’une équation rigoureuse. Pourtant rien n’est plus inégal, variable, bizarre même, que ces deux phénomènes : pour peu qu’on les étudie, soit dans les faits actuels, soit dans l’histoire, on s’assure qu’ils se refusent à tout calcul lointain. La fertilité du sol et la multiplication des êtres, loin de dépendre de lois suivies, ne procèdent que par anomalies et fluctuations, obéissent au caprice des évènemens, et ressemblent moins à un flot qui monte toujours qu’à une eau qui se déplace. Malthus prend pour point de départ deux suppositions, l’une que la fertilité du sol a des bornes, l’autre que la reproduction de l’espèce n’en a pas. Rien n’est moins prouvé. Si la fertilité du sol a une limite, elle n’est pas encore connue, et l’on peut dire que cette fertilité s’est, jusqu’à présent, accrue en raison des bras et des intelligences qui s’appliquent à la culture. Quant à la reproduction de l’espèce, loin d’être infinie, loin d’aller toujours croissante, le moindre examen suffit pour attester qu’elle a des phases, des temps d’arrêt et des intermittences. Tel pays regorge d’habitans, lorsque tel autre voit ses populations s’éclaircir. L’Europe s’est couverte d’hommes aux dépens de l’Asie ; l’Afrique, l’Amérique et l’Océanie se peuplent aujourd’hui aux dépens de l’Europe. Des races entières disparaissent pendant que d’autres races pullulent. À tout prendre, ce n’est pas la terre qui jusqu’ici a manqué aux hommes, mais plutôt les hommes à la terre : il suffit pour s’en convaincre, de jeter un regard sur la carte du globe. Le présent n’a donc rien qui puisse alarmer : quant à l’avenir, il prendra soin de lui-même. L’économie politique peut, sans regret, décliner ce souci et s’en remettre à la Providence.

Tels sont les divers thèmes sur lesquels la science économique concentrait naguère son principal effort, et, comme historien, M. Rossi a dû s’enquérir de ce qui s’est fait dans cette voie, mettre sous nos yeux les pièces du procès, prendre des conclusions pour ou contre. Cependant il est impossible qu’il s’abuse sur la valeur de pareils débats. Les matières raffinées et délicates intéressent tout au plus un groupe d’initiés ; le public ne s’y arrête jamais. Ce sont des questions d’école ; elles y naissent, elles y meurent. Comme action sociale, l’économie politique n’a que fort peu de chose à en attendre, et tout lui conseille de les laisser désormais s’éteindre. En revanche, il existe des thèses vives et fécondes, ou il est de son devoir d’intervenir d’une manière plus directe qu’elle ne l’a fait, ne fût-ce que pour protester contre les erreurs qui circulent et les puérilités qui se dé-