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de la journée et le texte du sermon quotidien. Cela suffit au poète. Dans ces charmantes prédications, la philosophie devient une idylle, et la morale a toute la grace d’une églogue. M. Schefer avait commencé ainsi :


« Celui qui entend toutes les voix de la nature peut seul en saisir l’harmonie. Là, tout près, à mes pieds, pleure un enfant, et autour de moi, dans les arbres, les oiseaux chantent par centaines. Voici un chêne vieilli qui se courbe et s’affaisse, et près de lui s’agitent gracieusement de jeunes arbres en fleurs. J’entends des chants funéraires auprès d’un lit de mort, et ici du sein de la forêt, quelle joyeuse musique de noces s’élève dans les airs ! Maintenant, dans le cercueil entr’ouvert, j’aperçois le mort lui-même étendu, — et là, par une fente de la porte, j’ai vu deux beaux enfans qui s’aiment et se regardent en silence. Là-haut, cependant, sans s’inquiéter de tout ce qui se passe sur la terre, les nuages continuent leur voyage éternel. Oh ! comme tous les sentimens de mon cœur s’unissent en une mesure parfaite, en un repos divin ! L’esprit de cette harmonie si belle a passé en moi. Également éloigné et de la joie et de la douleur, me voici prêt à recevoir tout ce que m’apportera la vie. »


Il est fidèle, en effet, à ce programme ; il commence avec le 1er janvier, et, pendant les mois d’hiver, sa poésie est grave et haute ; il prononce de sévères paroles sur la mort, sur Dieu, sur le but sérieux de cette vie qui nous est accordée. Mais quand avril est arrivé, voici le chant qui s’envole comme l’alouette. Chaque jour amène ainsi son enseignement, et c’est un grand charme, sans contredit, que cette morale prêchée de la sorte par les plus doux, par les moins pédans de tous les maîtres, par le ruisseau qui coule, par l’oiseau qui fait son nid, par les harmonies sans nombre de la nature adorée.

J’ai signalé les mérites de M. Léopold Schefer, ce sentiment profond des harmonies du monde extérieur, et l’ingénieuse sagacité avec laquelle il rattache à ses tableaux de tous les jours un noble et grave enseignement ; je dirai aussi franchement ce qu’il faut blâmer. Or, il lui manque, autant qu’à M. de Sallet, quelque chose de décisif et sans quoi la poésie n’existe pas ; il lui manque la forme, il lui manque une langue souple, intelligente, exercée à suivre avec grace le mouvement de l’inspiration. En prose comme en vers, M. Léopold Schefer ne possède qu’un instrument rebelle qui se refuse à rendre toutes les richesses de son ame. Ce contraste perpétuel entre le prodigue épanouissement des idées et la stérile monotonie de l’expression est pénible et douloureux. Nous retrouverons un jour M. Schefer parmi les romanciers, et nous devrons signaler dans sa prose la même inexpérience,